Article

1 - Signification des comportements à connotation violente et gestion des interactions dans une classe RAR
by Vors Olivier, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand
Gal-Petitfaux Nathalie, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand
Cizeron Marc, Université Blaise Pascal, Clermont-Ferrand


Theme : International Journal on Violence and School, n°11, September 2010

Cette étude vise à comprendre comment se construisent en classe les interactions enseignant-élèves lors de leçons d’Éducation Physique dans un collège « Ambition réussite » en France. Menée dans le cadre de l’anthropologie cognitive située, elle catégorise les comportements de quatre élèves et de leur professeur et elle révèle la signification que chacun attribue aux actes violents en classe. Les résultats montrent que les interactions en classe permettent de gérer les comportements à connotation violente en établissant une relation éducative pérenne.

Keywords : Réseau, ambition, réussite, activity, autority, teaching, physical education.
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LES COMPORTEMENTS PERTURBATEURS COMME FORME D’EXPRESSION DE LA VIOLENCE EN CLASSE D’ÉDUCATION PHYSIQUE
LA VIOLENCE SCOLAIRE VUE SOUS L’ANGLE DES TROUBLES DU COMPORTEMENT
L’importante littérature sur les questions de violence en milieu scolaire démontre la complexité de ce phénomène « violence » au regard de multiples acceptions possibles. Une orientation forte est de considérer la violence au sens large, c’est-à-dire non réduite à la violence physique, ni limitée aux catégories pénales. De même, « les résultats convergent pour monter que l’essence même de la violence à l’école s’actualise dans le quotidien prenant la forme de micro-violences, de victimations mineures, d’incivilités, de perturbations de l’ordre scolaire et plus largement de l’ordre social. Les chercheurs parlent de violence de faible intensité, en deçà du seuil pénal, relevant la rareté des faits graves » (Carra, 2009, 4-5). Les divergences proviennent de l’objet scientifique retenu pour traiter le phénomène de violence à l’école.
Trois catégories principales sont retenues pour appréhender les manifestations de la violence scolaire : school-bullying, incivilités et comportement anti-social (Carra et Faggianelli, 2003). D’une part, la catégorie school-bullying rassemble les recherches appréhendant la violence à l’école à travers la manifestation de brimades répétées entre élèves ou de harcèlement entre pairs. Ces recherches ont débuté dans les pays scandinaves (Olweus, 1993) puis se sont étendues au reste du monde. Les victimes oppressées sont exposées à des risques accrues de décrochage scolaire, d’anxiété et de troubles psychiques pouvant les conduire au suicide. Les bullies (auteurs de ces actes violents), quant à eux, deviennent facilement des jeunes adultes déviants méprisant les victimes jugées comme « faibles » et ayant un statut de dominant parmi leurs pairs (Boulton, 1993). D’autre part, la catégorie des recherches abordant la violence à l’école sous l’angle des incivilités proviennent des États-Unis, « elle se situe dans le développement d’une problématique liée au sentiment d’insécurité » (Carra et Faggianelli, 2003, 209). La notion d’incivilité désigne les menus désordres sociaux qui occupent la classe. Ces incivilités sont vécues par les autres élèves et le professeur comme autant d’atteintes quotidiennes à la personne (Milburn, 2000). Enfin, la dernière catégorie correspond à l’étude de la violence à travers le prisme des comportements anti-sociaux. Les comportements sont jugés en fonction de leur degré de conformité sociale à la norme scolaire, ce qui permet d’interpréter l’adaptation ou l’inadaptation de l’élève. Elle provient d’outre-Atlantique et s’intéresse à des actes dont le caractère illicite n’est pas avéré mais qui contribue à déstabiliser la communauté de voisinage ou à perturber le climat scolaire. « Son succès est à mettre en relation avec son aspect pragmatique et utilitaire : repérer les comportements anti-sociaux et éviter leur contagion, repérer leurs auteurs potentiels et élaborer des programmes de prévention, et ce, dans un souci de sécurité au centre desquels se situent les élèves » (Carra et Faggianelli, 2003, 208).
Notre étude s’inscrit dans la lignée de cette troisième catégorie en se focalisant plus particulièrement sur les troubles du comportement. Autrement dit, nous appréhendons la violence scolaire en identifiant ses manifestations comportementales considérées comme des troubles du comportement chez les élèves venant perturber le climat de classe (Fortin et Bigras, 1996 ; Gagné, Desbiens et Blouin, 2004). Même s’ils ne sont pas juridiquement pénalisables, les troubles du comportement sont considérés comme un premier jalon de la violence à l’école étant donné qu’ils sont annonciateurs et peuvent être générateurs de violences plus graves (Carra et Faggianelli, 2003). L’étude des manifestations de la violence à l’école au travers des troubles de comportement fait apparaître différentes catégorisations des comportements : a) des élèves passifs qui s’ennuient à l’école et qui attendent désespérément la fin du cours (Glasman, 2003), résignés, pensant que quoi qu’ils fassent ils n’y arriveront pas (Seligman, 1975) ; b) des élèves agités manifestant un manque d’attention soutenue, notamment dans des tâches répétitives (Douglas, 1983 ; Landaw et McAninch, 1993 ; Zentall et al., 2001), ils sont très actifs et ont du mal à tenir en place à effectuer la tâche demandée, se tortillent et s’agitent dès qu’ils sont assis ou immobiles (Millet et Thin, 2005) ; c) des élèves agressifs « coupés de leurs émotions » (Favre, 2007), incapables d’empêcher leurs émotions d’agir, qui se mettent en colère facilement et agissent sans toujours penser aux conséquences de leurs gestes (Juneau et Boucher, 2004). En dépit de ces différentes catégorisations, leur point commun est de montrer que les troubles de comportement perturbent l’ordre scolaire (Miller et Thin, 2005). En ce sens, « ce sont des comportements qui troublent » (Delesse, 2005, 17). Les recherches « contextualisées », dans lesquelles nous inscrivons cette étude, montrent par exemple que des comportements d’apparence agressive peuvent avoir une toute autre fonction (Rivière, 2006), l’intention de l’acteur diverge souvent de l’interprétation d’un observateur extérieur. Ces approches contextualisées donnent un caractère situé aux troubles du comportement et prônent des études in situ faisant le lien entre le comportement et son contexte d’émergence. D’autres recherches étudient les liens entre les troubles du comportement et : a) les problèmes d’intégration sociale et scolaire (Clément, 2006) ; b) les interactions avec un élève ou un groupe (Bellot et Wantz, 2005). Au-delà de la diversité d’approches, toutes les études sont animées par la volonté de comprendre les troubles du comportement. Et pour accéder à la compréhension des comportements, les chercheurs accordent souvent une place privilégiée à la subjectivité de l’acteur (Lesourd, 1998). Pour l’auteur, les comportements sont l’expression de cette subjectivité.
En conclusion, nous appréhendons ici la violence à l’école aux travers de ses manifestations comportementales, révélatrices de troubles du comportement, qui viennent perturber l’ordre scolaire. De nombreuses recherches interrogent le lien que ces troubles de comportement ont sur les apprentissages. Certaines considèrent que ces troubles ont des effets pervers sur le mode de rapport aux apprentissages des élèves (Favre, 2007) et qu’ils expliquent en partie leur sous-rendement scolaire (Frick et al., 1991). D’autres recherches estiment que ce sont les problèmes d’apprentissage qui génèrent le désordre et les ruptures scolaires (Millet et Thin, 2005). D’autres encore présentent les troubles du comportement et les troubles d’apprentissage comme deux entités séparées qui coexistent (Leonova, 2005, 28). Cette relation comportement/apprentissage se retrouve aussi dans les discours professionnels et institutionnels de l’éducation prioritaire. Dans ces discours les « élèves en difficulté » dans leurs apprentissages ont tendance à être confondus indistinctement avec les « élèves difficiles » de par leurs comportements (Kherroubi et Rochex, 2002).
L’ÉDUCATION PRIORITAIRE EN FRANCE : DES PROBLEMES D’APPRENTISSAGE AUX PROBLEMES DE COMPORTEMENT
Le désordre récurrent dans les classes et la mise en cause de l’autorité pédagogique des enseignants sont des problèmes d’actualité dans les collèges en France. Ce désordre scolaire est particulièrement important dans les établissements de quartiers populaires où les enseignants sont contraints à un travail incessant d’instauration et de rappel des règles de discipline, et de respect mutuel entre élèves et enseignant (Monfroy, 2002). Le discours des enseignants travaillant dans ces quartiers populaires expriment souvent un malaise, une souffrance liés aux comportements d’incivilités que les élèves manifestent et à la difficulté de les faire apprendre alors qu’ils sont déjà en fort retard scolaire (Barrère, 2002). Cette double difficulté d’apprentissage et de comportement vont marquer les politiques compensatoires successives.
C’est la réussite scolaire pour tous les élèves qui motive à l’origine en 1981 Alain Savary à créer les Zones d’Éducation Prioritaires (ZEP). Le but premier de cette volonté gouvernementale est de contribuer à corriger les inégalités par le renforcement sélectif de l’action éducative dans les zones et dans les milieux sociaux où le taux d’échec scolaire est le plus élevé (circulaire n°81-238 du 1-07-1981). Puis, la nouvelle mesure de relance de relance de 1989-1990 conduit à un glissement des priorités, les problèmes scolaires passant au second plan face aux problèmes sociaux (Demeuse et al., 2008). Il s’agit alors de « renforcer l’action éducative dans les zones où les conditions sociales sont telles qu’elles constituent un facteur de risque, voire un obstacle pour la réussite scolaire des enfants et des adolescents qui y vivent et donc, à terme, pour leur insertion sociale » (circulaire n° 90-028 du 1er février 1990). Cette relance de l’éducation prioritaire survient dans un contexte marqué par une flambée de violences urbaines, elle affiche une volonté de couplage systématique de la politique des ZEP et de la politique de la ville (Kherroubi et Rochex, 2002). Naît alors un changement de point de vue gouvernemental, s’éloignant de la problématique des élèves « en difficulté » victimes des inégalités sociales aux élèves « difficiles » perturbateurs de l’ordre scolaire (Millet et Thin, 2005). L’auteur va même plus loin en montrant que les orientations officielles contribuent à nous faire passer d’un discours de lutte contre les inégalités sociales à un discours de prévention de la "violence" et des "désordres scolaires". Le thème des "violences scolaires" se voit ainsi propulsé sur la scène publique et institutionnelle, et constitué en problème social. « On assiste ainsi à une transformation de la doxa scolaire plaquant sur une série d’événements scolaires, qui aurait relevé auparavant de la question de l’"échec scolaire", une nouvelle grille de lecture axée sur la "violence" ou les "incivilités" et reliée à la défiance vis-à-vis des quartiers populaires dits "sensibles". » (Millet et Thin, 2005, 37). Le discours de la troisième mesure de relance de l’éducation prioritaire (circulaire n°2006-058 du 30 mars 2006), bien que plus modéré, reste ambigu. La nouveauté est de concentrer les efforts sur les 254 collèges les plus « en difficulté » de France comme pilote de « Réseau Ambition Réussite » (RAR) comprenant leurs écoles primaires de rattachement et quelques lycées. Dans toutes les disciplines de ces collèges classés RAR, l’effectif des classes est réduit (23.9 élèves au maximum) afin d’aider les « élèves en difficulté » et de contrôler les problèmes de comportement.
SAISIR LE SENS DES ACTES VIOLENTS EN CLASSE EN RECOURANT AU POINT DE VUE DES ACTEURS
De nombreuses méthodologies développées par les chercheurs pour mesurer la violence ont caractérisé les actes violents en s’intéressant aux perceptions des élèves ou de l’enseignant. La subjectivité de l’acteur a été étudiée par le biais 1/ de leur représentation, ou 2/ de leur expérience vécue de ce phénomène. L’étude des représentations, une tendance dominante, s’appuie principalement sur des questionnaires. Par exemple des questionnaires remplis par l’enseignant ont permis de mesurer les comportements sociaux et affectifs des élèves à l’école (Achenbach, 1991), susceptibles d’affecter la relation élève/enseignant, la relation avec les pairs et les performances scolaires (Gresham et Elliot, 1990).
Ces méthodologies quantitatives ont permis de construire des profils de comportements des élèves violents à l’école. Cependant, les procédures de recueil des données présentent deux limites pour comprendre la signification des actes de violence dans les classes. Premièrement, les catégories de « comportements violents » auxquelles ces méthodologies recourent pour demander aux élèves et enseignants d’exprimer leurs opinions dessus, sont définies a priori par les chercheurs. Quelques études qualitatives, ethnographiques, ont cherché à faire catégoriser par les acteurs eux-mêmes le caractère violent ou non des actes qu’ils produisent ou subissent, ainsi que les raisons profondes de ces actes commis (Brisset et Moureaux, 2004 ; Cusson, 1981 ; Favre, 2007). Elles révèlent que des actes apparemment violents peuvent avoir des finalités diverses, comme par exemple (Cusson, 1981) : a) l'action, le fait de commettre un délit pour déployer de l'énergie, du jeu, de l’excitation, et pour avoir la sensation de vivre intensément ; b) l'appropriation, le fait de voler ou de dérober dans le but de profiter du bien d'autrui ou de pouvoir l’utiliser ; c) l'agression, le fait d'attaquer autrui pour le tuer, le blesser, le faire souffrir ou pour se défendre et se venger ; d) et la domination, pour obtenir une suprématie quelconque, un sentiment de puissance, de prestige. Ces études montrent l’intérêt d’appréhender la violence en considérant le point de vue subjectif des acteurs (agresseurs ou victimes) pour mieux la comprendre et la traiter (Brisset et Moureaux, 2004).
La deuxième limite des méthodologies évoquées porte sur la délimitation de l’objet « violence » étudié. En dépit du nombre important des études écologiques cherchant à comprendre les formes de violence à l’école, celles qui étudient la violence « en acte » dans les classes restent rares (Debardieux, 1996). Nous plaidons alors pour l’apport complémentaire d’études proposant une description ethnographique des actions violentes produites dans la classe, tout en se focalisant sur le lien entre ces actions commises et la perception in situ qu’en ont les acteurs présents.

OBSERVATOIRE DES ACTES DE VIOLENCE DANS LES CLASSES
OBJET DE L’ETUDE
Cette étude issue de l’anthropologie cognitive située vise à décrire les activités en classe pour comprendre comment un enseignant d’éducation physique (EP) expérimenté interagit avec des élèves en difficulté scolaire et jugés violents dans leurs comportements par l’équipe pédagogique. Nous cherchons à comprendre comment se tissent les interactions enseignant-élèves in situ pour réussir à prévenir les débordements de violence dans la classe et installer un contexte propice au travail. Nous définissons l’interaction enseignant-élèves comme d’un processus co-actionnel complexe, contextualisé, significatif pour chacun des acteurs et exerçant des effets sur chacun des acteurs sans préjuger de ces effets a priori.
Pour saisir la violence au cœur des interactions dans la classe et comprendre comment les conduites à troubles sont gérées dans l’interaction :
- nous étudierons les comportements des acteurs en tant que manifestation concrète des interactions. La description du comportement des élèves permettra de repérer les formes que peuvent revêtir les comportements agressifs observés en classe. La description du comportement de l’enseignant au même instant identifiera ses interventions typiques et mettra en évidence sa gestion des interactions agressives des élèves.
- nous analyserons la signification que les acteurs donnent à leur comportement et à ceux de leur entourage comme moyen pour comprendre comment s’installent les interactions et s’articulent les comportements individuels dans la classe. Ainsi nous pourrons comprendre les significations que l’enseignant et les élèves manifestant des troubles du comportement attribuent à leur comportement.
CADRE THEORIQUE
Cette étude s’inscrit dans le cadre d’une approche de l’activité des acteurs en contexte qualifié « d’approche située » (Barbier et Durand, 2003), elle convoque différents courant scientifiques. L’influence principale est l’anthropologie cognitive située fondée sur l’émergence contextualisée de la cognition. Elle prolonge la tradition de l’approche écologique mettant l’accent sur la dimension collective de l’enseignement (Doyle, 1977), notamment celui de l’EP (Hastie et Siedentop, 2006, pour une revue). Elle étudie la vie collective dans la classe en envisageant celle-ci comme un système d’interaction, dynamique et complexe, à cause de la diversité, de la simultanéité et de l’incertitude des évènements pouvant s’y produire. Cette étude prolonge également le courant analysant la culture scolaire et l’activité en classe (Lave & Wenger, 1991) pour qui l’apprentissage est situé dans un monde social. L’apprentissage est considéré comme un processus cognitif individuel issu d’une pratique sociale.
L’étude se tourne vers les théories de l’action et de la cognition située à la suite du constat que l’action a un caractère contextualisé qui est culturellement, corporellement, temporellement, spatialement, socialement située (Hutchins, 1995 ; Suchman, 1987). De plus, nous nous appuyons sur le cadre sémiologique du cours d’action, qui met l’accent sur la subjectivité de l’acteur et sur l’activité collective (Theureau, 2006, 2009). D’une part, ce cadre considère que toute action est une activité de production de significations et circulairement que les significations construisent l’action à venir. La signification renferme des propriétés intentionnelles, perceptuelles et émotionnelles, qui sont toutes intimement liées dans l’action ; la comprendre permet de saisir l’origine des comportements produits. D’autre part, l’activité collective est considérée selon une double composante : individuelle et sociale. Elle « n'est pas une "totalité constituée", mais une "totalité" constamment "détotalisée" » par l'activité de ses composantes individuelles ou par des collectifs plus petits (Theureau, 2006). Ce point de vue amène à aborder l’activité collective à partir de l'activité individuelle qui seule permet de l’envisager à partir du sens que l’individu lui attribue. Selon cette approche, l’activité est considérée comme individuelle-sociale, c’est-à-dire qu’elle est « à la fois individuelle et en relation constitutive avec autrui » (Theureau, 2006, 88). Donc, pour comprendre l’origine des comportements produits par l’acteur, il est nécessaire d’accéder à ce qui fait signe à l’acteur dans son environnement, y compris ce qu’il prend en compte dans les actions d’autrui pour agir. Ainsi, analyser l’activité d’un individu permet d’appréhender en partie ses interactions avec les autres individus.
CONTEXTE D’ETUDE
L’étude porte sur l’enseignement de la gymnastique par un professeur d’EP à une classe de 5ème de 22 élèves jugés très difficiles par l’équipe pédagogique, dans un collège Réseau Ambition Réussite de la banlieue lilloise, durant un cycle de 6 leçons. L’enseignant était expérimenté et reconnu comme tel (Tochon, 1993). Chaque leçon débutait par une phase d’organisation matérielle du gymnase avec l’installation des différents agrès gymniques, suivie de la phase d’apprentissage proprement dite. Pour chaque leçon, la classe était divisée en quatre ateliers de travail : un atelier « Tourner » où les élèves devaient réaliser des roulades en avant sur deux plans inclinés ; un atelier « Se renverser », où ils devaient se mettre en appui manuel, tête en bas, en se renversant à partir d’un plinth ; un atelier « Franchir », où ils devaient courir pour prendre une impulsion sur un tremplin et faire un saut par-dessus un obstacle vertical (cheval) ; et un atelier « Voler » pour des sauts, avec impulsion sur un mini-trampoline. Une fiche de travail était mise à disposition à chaque atelier : elle précisait aux élèves ce qu’ils avaient à faire à faire, ainsi que les critères de réussite.
Les ateliers étaient installés en ligne contre le mur sur toute la longueur du gymnase, pour espacer les groupes, minimiser les interactions entre eux et les conflits. Le dispositif d’organisation des ateliers restait inchangé tout au long du cycle. Il avait été délibérément choisi par l’équipe des enseignants d’EP pour développer la socialisation des élèves par la coopération au sein de chaque atelier, et pour qu’ils apprennent à travailler en autonomie sans la présence continue de l’enseignant auprès d’eux.
RECUEIL DES DONNEES
Deux types de données ont été recueillies : (a) des données d’observation et d’enregistrement audiovisuel des actions et communications en classe des quatre élèves et de leur enseignant, au cours de trois leçons ; (b) des données d’entretiens post-leçon visant à saisir la signification de l’acteur.
Le recueil de données sur les comportements des élèves et de l’enseignant s’est effectué à l’aide de 3 caméras et de 2 micros. La première caméra a permis de saisir un plan d’ensemble permettant de localiser tous les élèves et l’enseignant. Les deux autres ciblaient en plan large l’activité de chaque élève au sein de leur atelier. Les micros, des clefs USB dictaphone positionnées autour du coup des élèves, ont permis d’enregistrer leurs communications.
Les données sur la signification de l’action pour les élèves et de leur enseignant ont été recueillies à partir d’entretiens d’autoconfrontation. Quatre élèves volontaires et l’enseignant ont été invités à commenter leurs actions vécues en classe, en suivant le décours temporel de la leçon : le chercheur les confrontait aux enregistrements audiovisuels et leur demandait d’expliciter les intentions (ce qu’ils cherchaient à faire), les perceptions (ce qu’ils remarquaient), et les interprétations (ce qu’ils se disaient), qui les animaient au cours de la leçon (Theureau, 2006). Le questionnement a été approfondi (1) à chaque fois que les élèves prenaient en compte l’enseignant et (2) lorsqu’ils avaient des comportements à connotation violente.
TRAITEMENT DES DONNEES
L’analyse de l’activité des élèves, et de l’enseignant, a consisté à (1) catégoriser les comportements, (2) reconstituer la chronologie de l’activité individuelle-sociale des élèves face à celle de l’enseignant dans un tableau à deux volets, en mettant en concordance temporelle les retranscriptions des données de communication, la description des actions filmées et les données d'entretiens, (3) identifier dans chaque activité individuelle-sociale, les composantes de la signification (préoccupations, perceptions, interprétations en se focalisant sur celles où autrui est évoqué), (4) caractériser les interactions enseignant-élèves en analysant les récurrences entre les activités individuelles-sociales de l’enseignant et des élèves aux mêmes moments.
Tout d’abord, afin d’identifier les profils de comportements de l’élève et de l’enseignant, nous avons utilisé le système d’observation « Academic Learning Time interval recording instrument » (ALT) (Berliner, 1979) in Physical Education (ALT-PE) (Parker, 1989 ; Siedentop, Tousignant et Parker, 1982). Nous avons adapté cet outil à l’étude des manifestations comportementales des troubles du comportement en ajustant certaines catégories de codage afin d’identifier les comportements troublant l’ordre scolaire (« passivité », « agitation », « agressivité »). En conséquence, nous avons reconstruit le profil des comportements des différents acteurs au cours des leçons, ainsi que leur temps d’engagement dans chaque catégorie de comportement. Grâce à la vidéo, les comportements des élèves ont été découpés toutes les 10 secondes afin de coder : (a) leur nature, (b) leur durée (le comportement codé retenu est celui qui est le plus représentatif sur l’intervalle de temps). Ainsi l’outil ALT utilisé nous a permis d’obtenir une description précise à la fois quantitative et qualitative des comportements de l’enseignant et des élèves durant le cours d’EP. De ce fait, nous avons pu identifier et répertorier le nombre et la nature des comportements des élèves considérés comme des manifestations de trouble de comportement. De la même manière, les comportements de l’enseignant (son positionnement, ses communications, leur contenu et leur adressage) ont été répertoriés, afin d’obtenir une description minutieuse de ses interventions. En conséquence nous pouvons identifier comment l’enseignant réagit face aux comportements perturbateurs des élèves : auprès de quel élève l’enseignant intervient, comment il intervient, comment il se positionne dans l’espace. Les comportements des élèves et de l’enseignant ainsi identifiés grâce à l’outil ALT, nous pouvons les mettre en parallèle pour étudier les interactions typiques dans la classe au fil du temps.



Une fois les comportements codés au cours du temps, ils ont été présentés sous forme graphique afin de pouvoir les comparer (Figure 2). Ces données permettent de repérer les régularités des troubles de comportement communes aux différents exercices et aux différents élèves étudiés, nous pouvons ainsi obtenir un profil objectif et détaillé des troubles du comportement.


Figure 2 : Exemple de catégorisation des comportements de Soufiane lors de la leçon 1 et répartition (en %) du temps d’engagement dans chaque catégorie.

Cet outil a permis de déterminer un profil typique des comportements des élèves, et de repérer en particulier les manifestations de troubles du comportement chez les élèves (codés « passivité », « agitation » et « agressivité »).
Ensuite, la description du cours des comportements a été prolongée par l’analyse de leur signification pour l’élève et pour l’enseignant. La chronologie de chaque activité individuelle-sociale a été reconstituée en croisant les données d’observation et d’entretien. Les chroniques de vie des acteurs ont été schématisées par des tableaux présentant simultanément : (a) le décours temporel, (b) le cours de comportement de l’élève (description et codage), (c) la signification que l’élève leur attribue (verbalisations d’entretien), (d) le cours de comportement de l’enseignant (description et codage), (c) la signification que l’enseignant attribue à ses propres comportements et à ceux des élèves (verbalisations d’entretien).


Par la suite, au sein de chaque activité individuelle-sociale nous avons identifié les composantes de la signification (intentions, perceptions, interprétations) que les acteurs attribuaient à leur actions (Figure 4), en portant une attention particulière aux significations attribuées aux comportements à connotation violente (codés « passivité », « agitation » et « agressivité ») et aux relations enseignant-élèves.


Enfin, nous avons caractérisé les interactions enseignant-élèves et analysant les récurrences entre les activités individuelles-sociales de l’enseignant et des élèves au même moment. L’analyse des régularités a porté plus particulièrement sur les significations que l’enseignant et les élèves attribuaient aux manifestations de troubles du comportement, et aux actions que l’enseignant réalisait pour les gérer ainsi qu’aux réactions des élèves.

RESULTATS
Les résultats montrent qu’une relation éducative pérenne s’installe dans la classe, malgré divers troubles de comportement provoquant des agitations et décrochages ponctuels chez les élèves. Cette relation éducative est le fruit des interactions enseignant-élèves permettant une convergence des significations associées aux comportements connotés violents mais jugés mineurs. Elle est aussi le fruit d’une expertise de l’enseignant dans sa façon de gérer les manifestations des troubles du comportement des élèves par une focalisation ostentatoire sur les apprentissages, afin de prévenir les débordements d’agitation et bloquer leur jeu continu consistant à donner des coups et à insulter leurs pairs. La présentation des résultats consistera à exposer en premier le profil de comportements des élèves et leur point de vue subjectif à propos de comportements violents observés ; puis, nous exposerons les comportements de l’enseignant et leurs significations pour comprendre comment il gère les interactions entre élèves ; enfin nous présenterons les interactions enseignant-élèves qui fondent une relation éducative pérenne.
COMPORTEMENTS DES ELEVES : UNE AGRESSIVITE LUDIQUE PERÇUE COMME NON VIOLENTE
Les résultats montrent que la classe est engagée dans une activité relativement studieuse au cours des leçons étudiées ; elle est très rarement rompue de façon durable par des interventions de l’enseignant visant à sanctionner sévèrement des élèves pour violence exercée. Cependant, l’activité de travail des élèves est en même temps jalonnée de nombreux décrochages ponctuels correspondant à des comportements perturbateurs de l’ordre scolaire. Ces résultats mettent en évidence une sorte de paradoxe à propos de l’activité violente des élèves : d’une part, la description de l’activité des élèves fait ressortir un pourcentage non négligeable de tels comportements perturbateurs de nature agressive ; d’autre part, la plupart des interactions violentes entre élèves ne sont pas vécues par eux comme violentes mais comme de simples jeux.. Nous présenterons en premier le profil des comportements des élèves en classe ; puis nous exposerons la signification qu’ils leur attribuent, en particulier à ceux que l’observation extérieure tend à désigner comme comportements transgressifs et violents.
Au cours de la leçon, les quatre élèves étudiés produisent un spectre de comportements (Figure 5) répartis en quatre catégories présentées en Figure 1. L’activité en classe des élèves révèle une structure triadique typique. Elle s’organise selon une alternance de trois séquences d’action tout au long de la leçon, visant : a) soit, à effectuer le travail demandé (catégories codées « conforme ») ; b) soit, à produire des comportements d’errance attentiste (codés « passivité ») ; c) soit, à produire des comportements perturbant l’ordre en classe, par une mise en spectacle devant le groupe (codés « agitation ») et par l’accomplissement de violences épisodiques (codés « agressivité »).


Figure 5. Catégorisation des comportements des quatre élèves (Megda, Soufiane, Mohamed et Alex) dans le cycle et répartition (en %) de leur temps d’engagement dans chaque catégorie.

Tout d’abord, les comportements conformes aux prescriptions de l’enseignant sont fortement majoritaires chez trois élèves sur quatre. Ils représentent approximativement les deux tiers de leurs actions (en moyenne 62.5%, représentés en gris clair Figure 5). Il s’agit des moments où les élèves sont engagés dans la réalisation de la tâche motrice, c’est-à-dire les exercices gymniques demandés : la roulade, le saut, le renversement ou le franchissement. De plus, les élèves vont périodiquement regarder la fiche sur laquelle les exercices sont consignés ; ils s’observent dans la réalisation des exercices gymniques, regardent comment font les autres pour réussir. Ce type de comportements traduit leur capacité à travailler en relative autonomie.
Ensuite, 37% des comportements des élèves observés en classe sont des comportements déviants (codés « passivité », « agitation » et « agressivité ») conduisant les élèves à décrocher ponctuellement mais de façon récurrente de la tâche scolaire prescrite par l’enseignant. Ils sont représentés en gris foncé (Figure 5).
Le temps d’attente passive est de 11% en moyenne (codé « passivité »). Il correspond à des comportements d’errance. Les élèves se laissent doubler dans la file d’attente, se couchent sur les tapis, déambulent dans l’atelier en quête d’occasion de changement. Bien qu’inactif physiquement, ils scrutent leur environnement en cherchant des occasions de tromper l’ennui. Ces comportements sont rarement longs, ils n’excèdent pas les 30 secondes, car rapidement l’élève trouve une occupation ou se fait reprendre par l’enseignant. De plus, cette catégorie a le plus fort écart-type entre les élèves, elle va de 1% pour Soufiane à 29% pour Mohamed.
Les comportements perturbant l’ordre dans la classe occupent en moyenne 15.7% du temps (codés « agitation »). Ils correspondent aux moments où les élèves font des exercices non demandés, comme le salto avant alors qu’il leur était demandé de faire des sauts droits. Ces comportements sont perturbateurs de l’engagement du collectif dans le travail demandé car 1/ ils occupent l’espace de travail et empêchent donc les autres élèves de réaliser les exercices, 2/ ils se propagent rapidement par leur nature collective, ce qui amène les autres élèves à décrocher de la tâche scolaire. Par exemple, ils réalisent des sauts spectaculaires, pour s’amuser à se mettre en scène devant les autres élèves de l’atelier. Pour engager ces "concours de sauts", l’élève sollicite un camarade ou répond à une sollicitation.
Soufiane interpelle son entourage avant de faire un salto en disant « Hé ! Rien que pour toi ! », « Yé, formidable, t’as vu Gérald ? Magnifique ! » ou encore incite ses camarades à faire des saltos « Vas-y Tony fais le "retourné" toi ! ».

Les troubles de comportements se manifestent dans la classe par des comportements à connotation violente. Ces comportements sont furtifs mais très fréquents (codés « agressivité »). Ils représentent 10,7% du temps en moyenne (Figure 5) ; ils correspondent à 18% (pour Mohamed), 12% (pour Alex), 5% (pour Megda) et 8% (pour Soufiane) ; et ils sont récurrents dans tous les ateliers pour chacun des élèves. Ces pourcentages pourraient sembler faibles compte-tenu des caractéristiques de cette population d’élèves relevant de l’éducation prioritaire, mais leur existence doit être mise en relation avec la nature des interventions faites simultanément par l’enseignant pour les contrôler (et que nous présenterons en deuxième et troisième partie des résultats).
Ces comportements « agressifs » observés chez les élèves sont permanents. Ils correspondent à des agressions mineures qui se manifestent, soit verbalement par des insultes (ils se moquent d’eux mutuellement, en utilisant le gros mot qui risque de toucher l’autre ; ou par des insultes à caractère sexuels, ou portant sur leurs familles respectives), soit physiquement par des coups de pieds ou de poings (sans le porter, juste pour faire peur ; ou porté au niveau du corps en évitant la tête), et des bousculades (ils se poussent ou ils luttent en se roulant sur les tapis). Nous les observons le plus souvent au moment où un élève se prépare à passer, lorsque son camarade le pousse ou l’insulte. À partir de là, s’ensuit une réaction en chaîne, l’autre élève répond soit pas une insulte, soit par un coup. Puis, la plupart du temps les deux élèves se courent après pour rendre le coup à l’autre, ce qui marque la fin de la séquence.
Ces actes à connotation violente sont totalement imbriqués avec les autres comportements conformes aux attentes de l’enseignant (classés « conformité »). Ils sont très rapides (ils dépassent rarement les 10 secondes) et masqués (lorsque l’enseignant ne regarde pas et lorsque ils peuvent surprendre un camarade). Par exemple, au moment où Nawel s’élance pour faire une roulade, Megda la pousse d’un geste brusque dans le dos, alors qu’elle faisait semblant d’attendre bien sagement son tour pour passer au côté de Nawel.
Bien que l’observation et la description des comportements des élèves mettent en évidence le caractère violent de certains d’entre eux, ces derniers sont paradoxalement considérés comme mineurs par les élèves, voir même non-violents. Le recours à leur point de vue subjectif permet de montrer qu’ils avouent les produire sans intention de faire mal à autrui, mais seulement dans l’intention de jouer. Pour eux, il ne s’agit pas de violence mais d’une façon habituelle de « s’amuser entre eux ». « Leur jeu » consiste à se faire des « coups en douce » pour empêcher leurs camarades de passer, sans que le professeur ne les voie. L’extrait suivant d’entretien d’autoconfrontation illustre cette idée :
Dans l’atelier « Franchir », au moment où Aris s’apprête à faire un franchissement groupé par-dessus le cheval, Soufiane l’insulte. Il lui dit : « Farida (qui est la mère de Aris) la pute ». Aris manque son saut et tombe à la réception, ce qui provoque l’hilarité du groupe. Il se relève rapidement en courant derrière Soufiane, jusqu’à ce qu’il le rattrape et lui donne un coup de poing violent dans l’épaule. Soufiane crie « arrête, arrête ! » en riant, puis les deux protagonistes retournent dans la file d’attente de leur atelier.
Lors de l’entretien, Soufiane explicite :
Soufiane : « Là, j’ai traité sa mère pour qu’il se plante. Ça a marché, il est tombé, on a bien rigolé
Chercheur : Et après qu’est ce qui se passe ?
Soufiane : Il me court après pour se venger
Chercheur : et il te donne un coup ?
Soufiane : Oui, c’est pas méchant c’est pour rigoler, comme ça on est quitte. Après on retourne au boulot sinon le prof, il va nous voir ! »

Pour les élèves, le cours d’Éducation physique leur donne de nombreuses opportunités pour vivre des actions qui sont proches de leur activité quotidienne en récréation ou en dehors de l’école. Ces contacts verbaux et physiques violents sont une forme de communication habituelle entre pairs, qui renforce leurs liens sociaux et leur culture de groupe. Les deux extraits d’entretien suivants illustrent cette idée.
Mohamed : « En sport, on peut s’amuser un peu, on peut bouger.
Chercheur : Ça, vous ne le faite pas en Français, ou dans la cour de récréation ?
Mohamed : En cours, on est bloqué dernière les bureaux, alors on peut pas jouer pareil. Sinon, on s’amuse tout le temps comme ça avec les copains. »

La manifestation de ces comportements violents mineurs, dans leur forme et leur durée d’expression, ne sont compréhensibles qu’en relation avec l’intervention de l’enseignant.
COMPORTEMENTS DE L’ENSEIGNANT : GESTION DES INTERACTIONS ENTRE ELEVES A CONNOTATION AGRESSIVE
Malgré des interactions agressives récurrentes entre les élèves, l’enseignant parvient à installer une relation éducative pérenne au sein de la classe : les élèves s’engagent durablement dans l’activité d’apprentissage, à chaque atelier et tout au long de la leçon. Nous exposerons d’abord les comportements de l’enseignant pour contenir la violence dans la classe, puis nous présenterons son point de vue subjectif.
Le profil des comportements en classe de l’enseignant
L’outil ALT nous a permis de répertorier en détail son positionnement dans l’espace, la nature des ses interventions verbales et leur adressage. Sa position spatiale varie en fonction de l’interprétation qu’il fait de la situation de classe. Lorsqu’il considère l’ambiance de classe tournée vers le travail, il reste longtemps au cœur de chaque atelier proche des élèves en difficulté. À l’inverse lorsqu’il perçoit de l’agitation chez les élèves, avec une baisse du travail et une augmentation des incivilités, il alterne entre deux positionnements : a) il prend du recul au milieu du gymnase pour pouvoir surveiller tous les ateliers simultanément ; ou b) il circule rapidement entre les groupes afin de manifester sa présence et relancer les élèves dans le travail, tout en gardant toujours un œil sur le groupe qu’il considère comme le plus dangereux.
L’enseignant intervient verbalement très peu pour réprimander les comportements perturbateurs des élèves. 80% de ses communications verbales portent sur les objets d’apprentissage : il donne des conseils aux élèves pour progresser, il les invite régulièrement à retourner à la lecture de la fiche, il réexplique ce qui est attendu, il félicite les élèves dès qu’ils réussissent le travail demandé. Ses conseils prennent souvent la forme d’encouragements : « c’est bien, mais il faut réussir à se relever sans les mains », « vas-y essayes, tu ne risques rien, je suis sûr que tu peux y arriver », etc.
L’adressage de ses interventions vise à concerner le plus d’élèves possible sur les contenus d’apprentissage. Lorsqu’il intervient, il tâche de s’adresser à un groupe d’élève. Pour cela il utilise un adressage impersonnel (deuxième personne du pluriel ou troisième personne du singulier) et un ton audible pour tous les élèves de l’atelier : « très bien Megda, vous avez vu pour effectuer une roulade avant, il faut bien rentrer le menton ». De plus, il est fréquent qu’il prenne à témoin d’autres élèves pour les raccrocher au travail. En revanche, son adressage devient individuel lorsqu’il intervient auprès d’un élève dans un atelier éloigné. Ses interventions sont typiques : il interpelle par une locution courte et ciblée un élève qui vient d’effectuer l’exercice : « Soufiane, tends les bras », « Bien Romain ». Ainsi il compense son absence physique des ateliers (83% de codages « absence » issus de l’ALT) par une présence verbale pour feindre un contrôle permanent.
Lorsqu’il ne considère pas la situation comme mettant en péril l’activité collective de travail des élèves, il exerce un contrôle discret et communique davantage corporellement qu’oralement. Ses comportements non verbaux sont nombreux. Sans se fatiguer ou couper le cours de la leçon, l’enseignant intervient sur certaines perturbations pour contrôler la montée de l’agressivité dans la classe. Pour ce type d’intervention, il utilise : a) son regard : en fixant l’élève concerné, en fronçant les sourcils ; b) des gestes : en pointant l’élève, ou en lui signifiant de se calmer en abaissant la paume de la main ; c) sa position corporelle : en circulant entre les ateliers pour se faire voir des élèves ; en restant sur l’atelier qui pose problème, tout en conseillant à distance ; en tournant les épaules vers un groupe agité.
Cette forme typique d’intervention de l’enseignant révélant peu d’actions verbales de contrôle des comportements perturbateurs repose sur une compréhension de la nature ludique de ces comportements même lorsqu’ils sont connotés violents. Le recours aux verbatim d’entretien permet de montrer que : a) sa façon d’interpréter les comportements violents des élèves reflète une sorte d’empathie qui lui permet de comprendre dans l’interaction le sens que l’élève donne à son travail ; et b) sa façon de traiter les comportements violents des élèves repose sur des modalités indirectes de contrôle.
Focalisation ostentatoire sur les apprentissages
Face aux violences mineures des élèves, l’enseignant ne fait pas preuve d’autoritarisme, il réalise peu d’interventions pour contrôler l’ordre et la discipline, et il n’exerce pas de sanctions. Il explicite lors des entretiens que les comportements agressifs des élèves (codés « agressivité » par l’ALT) sont en fait des formes de jeux entre eux. Il avoue avoir appris à décoder le fonctionnement des élèves et la nature de leurs comportements apparemment agressifs.
Enseignant : « Oui, là ils s’amusent. Soufiane, il insulte Aris pour le taquiner pour qu’Aris joue avec lui.
Chercheur : Oui mais après, Aris il lui court après et le frappe ?
Enseignant : C’est le jeu. L’un insulte, puis ils se courent après puis il se venge en lui donnant un coup. Tout ça, ça fait partie du même jeu, c’est un peu le jeu du chat et de la souris. C’est pas méchant, ils s’amusent. »

Malgré des incivilités récurrentes des élèves qu’il perçoit, il focalise son intervention sur les apprentissages avec l’intention de raccrocher les élèves au travail.
Enseignant : « Je sais qu’ils existent (ces troubles du comportement), et je les tolère parce que sinon tu ne fais que ça… Sinon tu ne passes ton temps qu'à recadrer, qu'à dire « ah non ne fais pas ça ! » (…) Tu vois là (la vidéo défile), je lui fais les gros yeux pour qu’il comprenne qu’il abuse ».
Chercheur : Oui et là, Anthony, il t’appelle pour faire un saut type catch, mais tu le regardes pas ?
Enseignant : Oui, je fais exprès, car ces élèves, ils cherchent toujours à faire les intéressants, donc je ne les regarde pas pour leur montrer que ça, ça ne m’intéresse pas (ce type de comportement). Je lui dis "ça ne m’intéresse pas" ; c’est comme si je lui disais : “Moi ce qui m’intéresse c’est le travail donc si tu veux que je m’occupe de toi, fait quelque chose qui m’intéresse". »

L’analyse des matériaux montre que bien que l’enseignant perçoive des comportements perturbateurs et agressifs chez les élèves, il ne cherche pas « à perdre du temps là-dessus », (dixit) pour ne pas rentrer en conflit permanent avec eux. Au contraire, il se force à les interpeller de façon ostentatoire sur le travail qu’ils ont à faire ; par les conseils qu’il leur donne, il cherche à les faire progresser et à leur montrer explicitement ce progrès par lequel il réussit par la suite à relancer les élèves dans le travail demandé.
Enseignant : « J’interviens sur les contenus et pas sur l’organisationnel parce que c’est l’essentiel. Je me force à revenir sur les contenus parce que les élèves ça les intéresse. Ils disent "ah ben oui, je savais pas le faire et j’ai écouté le professeur et maintenant ça va mieux". Donc quelque part, ils progressent et derrière j’ai moins de problèmes de comportements et d’agitation parce qu’ils sont intéressés. (…) C’est dans l’intérêt général, s’ils ne progressent pas, je sens très vite que ça va devenir très pénible après dans la classe… ils vont se mettre à chahuter et ils vont vite s’énerver et se taper dessus. »

L’enseignant comprend que les comportements agressifs des élèves sont des jeux et il s’emploie pour focaliser leur attention sur le travail à effectuer. Néanmoins, l’appréhension isolée de chaque comportement n’est pas suffisante, nous gagnons en intelligibilité en étudiant les interactions enseignant-élèves pour comprendre comment se trame cette relation éducative pérenne dans la classe.
LES INTERACTIONS ENSEIGNANT-ELEVES : UNE RELATION EDUCATIVE PERENNE
Les résultats montrent que les interactions dans la classe permettent de coordonner les comportements de l’enseignant et des élèves alors que leurs intentions ont tendance à s’opposer : l’une est tournée vers le travail scolaire tandis que l’autre s’oriente souvent vers la recherche de jeux agressifs. Ces interactions se caractérisent par une co-construction des actions de chacun à partir de prises en compte mutuelles permettant d’établir de manière durable un climat de travail dans la classe. Ces interactions typiques se fondent 1/ sur une compréhension mutuelle de la nature ludique des comportements à connotation violente et 2/ sur deux co-ajustements tacites permettant de limiter l’inflation des actes violents.
Tolérance des violences mineures : un compromis source d’engagement des élèves au travail
L’expression limitée des manifestations des troubles du comportement des élèves provient d’un équilibre co-construit entre les actions des élèves et celles de l’enseignant. Autrement dit, les nombreuses perturbations des élèves restent dans des proportions acceptables pour l’enseignant et pour les élèves grâce à une compréhension réciproque. Il s’opère dans la classe une autorégulation des comportements déviants sous forme d’ajustements locaux réciproques : les agitations incessantes des élèves conduisent l’enseignant à en tolérer certaines, ce qui a en retour pour effet de maintenir les élèves engagés dans la tâche.
Les élèves expriment leur lassitude face à la répétition de l’exercice, ils ne répètent rarement plus de deux ou trois fois consécutives le travail demandé par l’enseignant. Ils racontent avoir besoin de changement : « il faut que ça change », « s’il n’y avait pas ces moments pour rigoler, ça serait ennuyeux à force, c’est même pas la peine [d’y penser] ». Leur activité est donc marquée par de nombreux décrochages de la tâche scolaire, pour tromper l’ennui ils ont des comportements de passivité, d’agitations et des jeux agressifs.
En réaction à ces nombreuses manifestations des troubles du comportement l’enseignant est contraint de s’adapter. Selon son point de vue ces comportements sont trop fréquents pour qu’il puisse tous les contrôler. De plus, il sait que ses élèves ont tendance à s’opposer de manière virulente aux réprimandes trop fréquentes. Face aux punitions ou aux sanctions les élèves se braquent, ce qui est générateur de conflits ou de fuite avec un taux d’absentéisme croissant. Pour lui, faute de pouvoir totalement mettre fin aux diverses perturbations, il œuvre pour les canaliser.
Enseignant : « Si je pouvais, j’empêcherais tous ces jeux agressifs, mais avec ces élèves, ce n’est pas possible sinon tu n’arrêtes pas et tu ne fais pas cours… alors je suis contraint à accepter certaines de leurs déviances dans la mesure où ça ne met pas en l’air mon cours ».

Ainsi, il tolère certains jeux agressifs produits par les élèves car il les considère comme un exutoire permettant d’éviter que ces derniers ne décrochent ou ne s’engagent vers des violences plus graves. Sa préoccupation première est d’inciter les élèves à se mettre en activité physique et de maintenir leur engagement dans cette activité. Pour obtenir et stabiliser cet équilibre de travail, il autorise l’émergence de certains jeux sociaux, pourtant à connotation violente. Il tolère ces activités violentes lorsqu’elles restent : 1) dans le cadre de l’amusement, 2) imbriquées à la pratique scolaire, 3) masquées, 4) furtives. Pour lui cette marge de liberté d’action, d’autonomie, laissée aux élèves est une condition pour qu’ils s’engagent dans l’exercice prescrit et maintiennent leur adhésion sans se « mettre à l’écart ». L’enseignant avoue comprendre les motifs d’action des élèves, et considère que ces jeux sociaux spontanés sont l’élément qui fait s’engager ou décrocher les élèves de la situation. À propos de l’atelier d’apprentissage de la roulade, l’enseignant dit explicitement :
Enseignant : « S’il n'y avait pas ces jeux… ces temps d’amusement et que c'était roulade, roulade…peut-être que ça ne les intéresserait pas et que les élèves se mettraient de côté. Donc plutôt que de les voir ne rien faire, je préfère qu'il y ait une partie travail et une partie jeu. Si je disais aucune activité parallèle, aucun travers, ils diraient "oh, si c'est ça, je fais rien, je me mets sur le côté" ». « C'est la soupape de sécurité ».

En retour, les comportements déviants des élèves s’autorégulent par alternance avec des temps de travail. L’analyse des comportements des élèves en classe, d’après les enregistrements audio-visuels, montre à plusieurs reprises que les élèves reviennent d’eux-mêmes, spontanément à l’exercice demandé. Les élèves explicitent qu’ils agissent en s’ajustant par rapport à l’enseignant : « on fait les exercices en s'amusant », « je peux m’amuser un peu si après je retourne au travail, le prof, il dira rien ». De plus, ils avouent que s’il n’y avait pas l’enseignant, ils pourraient passer leur temps à s’amuser. La présence de l’enseignant contraint leur activité, en les incitants indirectement à limiter leurs jeux et à retourner au travail. Au final, les interactions entre l’enseignant et les élèves permettent un équilibre de travail dans la classe.
Les interactions enseignant-élèves permettent de co-construire une activité collective de travail basée sur des ajustements mutuels en réaction aux comportements déviants. Ces troubles du comportement ne remettent donc pas en cause l’équilibre du travail en classe, au contraire, ils l’entretiennent en lui permettant de se poursuivre. Pour l’enseignant, ces perturbations restent dans un registre d’activité acceptable ou faiblement répréhensible tant qu’elles ne dépassent pas certaines limites co-construites sous forme d’ajustement tacites.
Ajustements tacites contrôlant les comportements agressifs
L’enseignant juge quelles sont les formes de comportements violents qu’il peut laisser s’exprimer, et quelles autres il doit parvenir à stopper rapidement. Dans l’interaction, l’enseignant repère les situations dangereuses et les élèves apprennent quelles limites ils ne peuvent pas dépasser. Ces limites se concrétisent en deux ajustements tacites typiques : a) le temps de travail doit être supérieur au temps d’amusement qui doit rester furtif et b) les jeux agressifs ne doivent pas dégénérer en conflit. Ces ajustements ne sont pas annoncés explicitement en début de cours, ils s’actualisent dans l’action. C’est-à-dire qu’ils se construisent dans les interactions sous l’effet d’un compromis entre les intentions des élèves et de l’enseignant.
Le premier ajustement tacite est fondamental pour l’enseignant. Il prend en compte la durée des comportements déviants des élèves pour intervenir afin que les élèves ne décrochent pas durablement du travail demandé. Son exigence en terme de temps de travail, varie dans une certaine mesure en fonction de ses interactions à l’instant t. Il juge et s’adapte aux comportements in situ des élèves. Quand les élèves sont très agités, il accepte un seuil de travail relativement bas. Puis au fur et à mesure de la leçon, lorsque les élèves se mettent au travail, il augmente les exigences. C’est donc dans et par l’interaction qui juge et qu’il intervient sur l’ambiance de travail de la classe. Pour lui, l’activité collective de la classe reste viable tant que les activités de travail demeurent majoritaires. Lorsqu’il observe des comportements perturbateurs dans un groupe, il surveille qu’ils ne durent pas et restent occasionnels pour prévenir toute montée d’agitation et d’agressivité entre les élèves. Dans le cas où il voit qu’à plusieurs reprises un élève a une activité perturbatrice, il va rappeler au groupe dans son ensemble le travail à faire.
Enseignant : « C’est acceptable là quand c'est dans le cadre de l'amusement et qu'ils n'abusent pas entre deux passages de travail. (…) S’ils ne font que ça (s’amuser), là j’interviens »
(…) « Lorsqu’ils abusent, il faut leur montrer une certaine présence et surtout il faut veiller à ce qu’ils ne transforment pas le travail en excitation générale… c’est là souvent, aussi, qu’arrivent les accidents ».

En réaction, les élèves acceptent les interventions du professeur, même s’ils ne les jugent pas toujours nécessaires. Les rares rappels à l’ordre de l’enseignant donnent du poids à ses interventions. Les élèves ne s’opposent pas aux réprimandes de l’enseignant dans la mesure où elles ne sont pas trop fréquentes. Ils craignent alors de se faire réprimander par l’enseignant et adaptent leur comportement en fonction.
Alex : « Le prof y crie pas souvent, mais quand il se met à nous crier dessus à travers le gymnase, on fait pas les malins. Alors il faut pas se faire attraper.»

Pour éviter les réprimandes du professeur, les élèves adaptent leur comportement en limitant leur temps de jeux (il dépasse rarement 10 secondes) et en retournant régulièrement au travail. Ils expliquent qu’ils font « des coups en douce » rapides pour ne pas se faire repérer par l’enseignant. De plus, ils s’amusent après s’être lassés de faire l’exercice, puis une fois qu’ils se sont défoulés à « jouer à la bagarre » par exemple, ils retournent au travail.
AC de Megda : « ici, je m’amuse un peu, le prof il peut rien me dire, il a vu que je travaillais ».

Le deuxième ajustement tacite dans la classe est lié à l’évolution des interactions violentes entre élèves. Lorsque l’enseignant perçoit des jeux violents où les élèves se poussent ou se battent, il s’assure toujours que le jeu est partagé et accepté par les différents élèves. Il est vigilant aux réactions des élèves. De ces interactions passées, il a appris à anticiper, il intervient avant qu’une bagarre n’éclate, ou que l’ambiance ne se dégrade. Les indicateurs qui le font intervenir sont liés à l’expression des visages, les rires et la puissance des coups. S’il s’aperçoit que le jeu dégénère, il intervient rapidement de manière virulente avant qu’un conflit n’éclate.
Enseignant : « Le jeu de se taquiner entre copains trouve ses limites lorsque le gamin qui se fait embêter perd patience à un moment donné. Tu le vois, si l'élève qui se fait embêter s’amuse autant que l’embêteur, alors ça va. Par contre, si je vois qu’il s'énerve, là, j’interviens sec. »

En intervenant ainsi auprès des élèves, ces derniers apprennent les ajustements tacites à respecter dans le cours d’EP. Ils savent qu’ils ne doivent pas régler leurs comptes en cours et ils apprennent avec quels élèves ils peuvent rigoler.
Alex : « On se bagarre pas, on s’amuse. On se touche pas vraiment. »
Soufiane : « Ce qui est amusant c’est de lui mettre la misère, mais sans qu’il s’énerve ». « Eux c’est des petits jnouns (diables), on se fait des coups en douce, on s’ tape des barres (on rigole bien). Mais Ali, il sait pas rigoler, il s’énerve tout de suite. On joue pas avec lui. »

Nous avons vu qu’une relation éducative typique perdurait dans la classe, elle est le fruit d’une co-construction enseignant-élèves permettant un engagement durable dans l’activité d’apprentissage. Cette relation n’est pas uniquement descendante de l’enseignant vers les élèves. Elle émerge et évolue dans et par les interactions, les élèves par leurs comportements vont aussi inférer sur les décisions et les interventions de l’enseignant.

DISCUSSION
Les résultats ont montré que l’enseignant d’EP parvient à maintenir la classe dans une activité de travail, de façon viable au cours des leçons, malgré des comportements perturbateurs récurrents mais ponctuels. L’installation d’une relation éducative pérenne dans la classe est le produit d’interactions enseignant/élèves typiques contrôlant l’expression de comportements à connotation violente sous forme d’ajustements tacites. Ces interactions reposent sur un processus de compréhension mutuelle entre l’enseignant et les élèves. Cette compréhension est liée au partage in situ de significations entre élèves et enseignant à propos des comportements à connotation violente et du degré de tolérance ou sanction à leur accorder. La discussion portera sur deux points. Tout d’abord, après avoir synthétisé la forme des actes de violence mineure repérés dans le cours d’EP, nous évoquerons la nécessité d’atteindre les intentions réelles des acteurs « agresseurs » pour mieux comprendre la violence et éviter les écarts de perception entre eux et les enseignants. Ensuite, nous discuterons de la forme d’autorité exercée par l’enseignant pour réussir à gérer les violences mineures dans la classe. Elle sera analysée à partir d’un aspect d’expertise notable chez l’enseignant : sa capacité d’empathie avec les élèves.
Dans la classe étudiée, les élèves montrent de façon récurrente des comportements violents entre eux : au cours de leurs déplacements pour pratiquer la gymnastique dans les différents ateliers, ils se bousculent, se poussent, s’insultent, se donnent des coups en douce, empêchent les autres de travailler. Bien que ces actes récurrents ne rentrent pas dans la catégorie d’actes de délit graves, ils représentent malgré tout une forme de violence mineure, reconnue typique à l’école (Debardieux, 1996). Ces agressions verbales, coups, intimidations, comportements impulsifs, n’ont pas d’emblée une ampleur spectaculaire ; pour autant, le fait qu’ils se répètent est une menace permanente du climat et du rythme d’apprentissage dans la classe.
Pour autant, l’étude montre que ces actes d’apparence agressive ne sont pas vécus comme tels par les élèves qui ne les désignent pas comme étant de la violence. Elle questionne sur le statut des écarts de perception qu’ont les acteurs de la transgression de normes (Becker, 1985), notamment du décalage qui peut exister entre le point de vue subjectif des élèves et celui des autres personnels d’éducation. Les résultats de l’étude invitent à considérer qu’il ne faut pas confondre la partie observable d’un comportement, l’intention et le mobile qui animent l’acteur qui le produit. En revanche, ces perturbations risquent d’évoluer vers une forme de violence plus grave si l’enseignant n’intervient pas énergiquement pour les bloquer. C’est le cas où les élèves, par contagion émotionnelle entre eux (Favre, Joly, Reynaud et Salvador, 2005) ne parviennent plus à estimer le préjudice possible pour autrui. C’est alors que la compétence de l’enseignant est fondamentale ici pour couper court à des formes d’excitation émotionnelle dans lesquelles les élèves se laissent envahir par les émotions d’autrui et emporter par l’euphorie d’un groupe. Ici grâce aux interventions de l’enseignant la violence reste mineure, elle n’est jamais adressée à l’enseignant ; de plus, la classe travaille, il n’y a pas d’agitation collective nuisible aux apprentissages.


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> 3 - Un facteur déterminant du climat à l'école élémentaire tchèque : la sélection scolaire précoce
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