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2 - Violence à l'école : vers une responsabilité fonctionnelle des institutions scolaires
by Joing Isabelle, Laboratoire RELACS ER3S, Université de Lille Nord de France
Mikulovic Jacques, Laboratoire RELACS ER3S, Université de Lille Nord de France
Bui-Xuan Gilles, Laboratoire RELACS ER3S, Université de Lille Nord de France


Theme : International Journal on Violence and School, n°11, September 2010

L’objet de la présente étude est d’étudier la violence à l’école en tentant d’évaluer le poids du mode de fonctionnement des institutions scolaires sur le niveau de violence ressentie par les élèves et les professionnels. Un curriculum de fonctionnement institutionnel a été défini sur la base du modèle de la pédagogie conative dans le but d’appréhender les modes de penser et d’agir des institutions. 26 collèges publics du Nord ont participé à l’étude. Les données obtenues permettent d’envisager une responsabilité fonctionnelle des institutions scolaires et mettent en évidence quatre paradoxes de fonctionnement qui semblent les empêcher d’avancer dans leur lutte quotidienne contre la violence.

Keywords : Violence, school, functioning, functional responsibility, paradoxes.
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INTRODUCTION
Pour comprendre les phénomènes qui touchent l’école, il est une évidence de s’interroger sur son fonctionnement. En effet, il apparaît difficile d’étudier les problématiques scolaires autrement que comme des sujets binaires où l’école est autant à examiner que les phénomènes eux-mêmes. La présence d’un effet établissement dans les phénomènes de violence à l’école (Benbenishty et Astor, 2005 ; Gottfredson et Gottfredson, 1985; Galand et al., 2004 ; Debarbieux, 1996 ; Payet, 1995) témoigne de cette nécessité. Il semble que deux grands types d’approches émergent lorsqu’il s’agit d’étudier ce phénomène : celles centrées sur les individus et leur environnement (repérage des individus et des conditions familiales, sociales à risque) cherchant à identifier un éventuel « effet de composition » et celles plus centrées sur l’institution cherchant alors à mettre en évidence un « effet établissement ». Nous ne chercherons pas à rentrer dans le débat d’idées qui nécessite de se positionner entre « effet de composition » ou « effet d’établissement » (Dumay, 2004 ; Dumay et Dupriez, 2004). Conscients que la violence est un phénomène complexe qui trouve des origines diverses (Brookmeyer et al., 2006), nous tenterons au contraire d’appréhender la violence à l’école selon une approche globale du fonctionnement institutionnel qui intègre dans sa définition la prise en compte de la composition scolaire. Le défi est alors d’apporter un regard « nouveau » qui prend en compte les deux facettes du sujet. C’est parce que nous partageons les conclusions de Galand (2009) quant à une absence d’études prenant en compte l’ensemble des facteurs impliqués dans « l’effet établissement » que nous avons cherché à adopter une approche globale permettant d’identifier les modes de penser et d’agir des professionnels. C’est pourquoi, la présente étude, en s’intéressant au fonctionnement des institutions scolaires, vise à comprendre ce qui organise l’ensemble dans le but d’examiner l’impact de ce fonctionnement sur le niveau de violence à l’école.
ECLAIRAGES THEORIQUES PREALABLES
DE QUELLE VIOLENCE PARLE-T-ON ?
Dans la littérature scientifique, la définition du concept de violence est loin d’être une évidence. Le fait qu’une définition du concept ne puisse pas faire l’économie ni du versant objectif (lié aux faits) ni de celui subjectif (lié aux individus) peut constituer une explication. Une définition de la violence par le versant objectif (la qualification et la quantification des faits) peut apparaitre insuffisante à deux égards. Le premier est celui du risque de la non exhaustivité des faits : des insuffisances managériales, des omissions (« non-faits), des inactions ou encore des divergences peuvent constituer des violences sans pour autant qu’elles soient qualifiables in situ. Ensuite, se pose le problème des normes. Pour définir des faits comme violents ou non, il faut avoir défini des repères normatifs. Or, ceux-ci varient en fonction des individus, des époques, des lieux, des structures sociales si bien que « la violence dans son exercice et dans sa perception est socialement, spatialement et temporellement contextualisée » (Bodin, 2001, 11). Ces limites nous invitent alors à adopter une approche plus phénoménologique du concept et à définir la violence comme « ce que l’individu définit comme tel » (Debarbieux, 1990). Pour ne pas confondre violence et insécurité (un enseignant peut éprouver de la violence alors qu’il se sent en parfaite sécurité dans son établissement) et pour donner du sens au malaise des acteurs (élèves et professionnels), nous questionnerons la violence à l’école par la violence ressentie par les différents acteurs. Ce positionnement scientifique de type phénoménologique n’occulte en rien une approche par les faits mais redonne du sens aux « violences invisibles » comme peut l’être, par exemple, un climat scolaire négatif (Welsh, 2000 ; Gottfredson, 2001 ; Carra, 2009a).
EFFET ETABLISSEMENT OU RESPONSABILITE FONCTIONNELLE ?
Nous postulons qu’étudier la violence à l’école, nécessite inévitablement de s’intéresser aux deux facettes du sujet : la violence et l’école. Si le sentiment de violence concerne l’ensemble des établissements scolaires (Debarbieux, 2003), alors il apparaît essentiel de s’intéresser au fonctionnement propre de l’école. Les institutions scolaires subissent-elles la violence ou sont-elles susceptibles de la générer par un fonctionnement inadapté ? De nombreux travaux se sont intéressés à cet aspect en cherchant à identifier un « effet établissement » : ainsi, la politique et les pratiques pédagogiques, la cohérence entre les équipes pédagogiques, éducatives et de direction, le climat scolaire, l’ouverture sur l’environnement proximal (Moignard, 2006) ainsi que le style de direction ont été repérés comme des facteurs déterminants dans l’évaluation du niveau de violence d’une institution scolaire. Galand (2009) en livrant une synthèse de ces recherches, conclut à la contribution des institutions scolaires dans la prévention des comportements violents. De même, les travaux comparatifs menés sur différents contextes culturels confirment l’importance des éléments structurels (Benbenishty et Astor, 2005 ; 2008). Néanmoins, si ces travaux permettent d’identifier des facteurs à risque dans l’émergence des violences à l’école, ils nous éclairent assez peu sur le fonctionnement propre des institutions scolaires. Pourtant, chercher à comprendre la violence, c’est tenter de comprendre le contexte qui la fait exister, autrement dit c’est chercher à comprendre dans sa globalité le fonctionnement des institutions scolaires : qu’est-ce qui les pousse à agir ? Quel est le sens (direction et signification) de leurs actions ? Finalement, quelles sont les « conations institutionnelles » qui orientent les comportements et le fonctionnement du système ? Existe-t-il une responsabilité fonctionnelle dans l’appréhension de la violence ?

IDENTIFICATION DU FONCTIONNEMENT INSTITUTIONNEL
LES INSTITUTIONS SCOLAIRES
Dans ce travail, l’institution représente une unité d’apprentissage et de formation scolaire (un collège). Nous considérons qu’elle fonctionne comme un système comportant trois univers : celui des usagers (élèves, familles), celui des professionnels (personnels, infrastructures) et celui de l’environnement (société, quartier, médias).
En effet, l’institution intègre les élèves et leur contexte familial (la composition scolaire). La prise en compte de cet univers doit permettre de mieux connaître les élèves, de comprendre leurs attentes, d’instaurer un dialogue. Intégrer les élèves dans une démarche éducative, c’est faire une place à leur subjectivité et à la signification qu’ils donnent à leur environnement scolaire. Finalement, il s’agit de travailler sur la satisfaction de la population scolaire accueillie. Cet aspect est d’autant plus important que dans une institution scolaire qui donne une place réelle aux élèves dans son fonctionnement (élèves actifs et impliqués, concertations avec les adultes, écoute organisée et systématique), les acteurs ont une perception de la violence moins élevée (Pain, 2002).
L’institution comprend également ses professionnels (enseignants, personnel administratif, de service et de direction) et ses infrastructures. La prise en compte de cet univers doit permettre de travailler sur la cohésion professionnelle en définissant des principes explicites de gestion de comportements et des référentiels communs au niveau axiologique (principes et valeurs communs), déontologique (éthique commune) et téléologique (loi commune). En effet, dans le cadre d’une politique éducative de prévention de la violence scolaire, il est important que s’opère un travail d’équipe (Debarbieux, 1996 ; Debarbieux et al., 1999 ; Blaya, 2001 ; Galand, 2001) et qu’un climat scolaire positif soit mis en place (Debarbieux et al., 1999 ; Smith, 1999 ; Blaya, 2001), celui-ci étant notamment caractérisé par un ethos dans lequel personnels de direction, enseignants et autres personnels partagent des valeurs communes et des principes clairs de gestion de comportements.
Enfin, l’institution intègre l’environnement. La prise en compte de cet univers doit permettre de comprendre les enjeux et les pressions qui s’exercent sur l’institution ; il s’agit de profiter des ressources locales pour proposer un enseignement singulier et de s’ouvrir sur d’autres fonctionnements pour en comparer les effets ; il peut s’agir de travailler sur l’image de l’institution. Dans son travail de thèse, Moignard (2006) souligne l’importance de cet univers et dénonce la logique de rupture pratiquée par les établissements scolaires avec leur environnement immédiat qui est susceptible de faire émerger des phénomènes de violence. « En se retranchant sur elle-même, l’Ecole participe à la construction de situations sociales qu’elle redoute » .
La définition de l’institution scolaire comme un système intégrant trois univers nous invite alors à poser la conjecture suivante : le degré de prise en compte des différents univers permet de mesurer le niveau de cohérence du fonctionnement institutionnel.
POUR UNE MEILLEURE LISIBILITE DU FONCTIONNEMENT INSTITUTIONNEL : IDENTIFICATION DU NIVEAU DE COHERENCE ET DE CLARIFICATION DES INSTITUTIONS SCOLAIRES
Si la définition de la violence pose problème (Blaya, 2006 ; Carra, 2009b), c’est néanmoins lorsqu’elle est appréhendée de manière empirique (c'est-à-dire par la qualification et la quantification des faits) qu’elle fait le plus consensus chez les spécialistes de l’institution scolaire. Deux types de violence à l’école peuvent en effet être repérés : les faits graves dont la qualification pénale est évidente constituent le premier type. Ils sont largement diffusés par les médias et alimentent les discours sensationnels liés à cette problématique. Les atteintes les plus « dures » restent cependant exceptionnelles (Debarbieux, 1996 ; Carra et Sicot, 1997 ; Galand et al., 2004 ; Gottfredson et al., 2005) et ne sont le lot que d’établissements isolés. Les petites violences quotidiennes faites d’incivilités constituent le deuxième type. Elles sont, comme le souligne Blaya (2006), un ensemble de faits cumulés, pénalisables ou non, de petits délits ou infractions non pris en compte qui, répétés, induisent dans le milieu scolaire une impression de désordre, un sentiment de non respect. Ces violences reposant sur des « échanges verbaux, des petits manquements au code de conduite établi par les équipes éducatives ou des difficultés relationnelles » (Galand et al., 2004) sont largement répandues dans le système scolaire quel que soit l’établissement (Debarbieux, 2003). Ce sont ces micro-violences (Debarbieux et al., 1999) c'est-à-dire « ces petits manquements répétitifs et non les faits graves isolés, qui semblent avoir le plus d’impact sur la qualité de vie à l’école » (Galand et al., 2004) si bien que c’est seulement 7% des enseignants du second degré qui se disent « très satisfaits de l’exercice de leur métier par rapport à l’idée qu’ils en avaient » .
Ces constats nous amènent alors aux interrogations suivantes : est-il possible d’établir un parallèle entre les causes potentielles et les formes de la violence scolaire (faits graves occasionnels ou micro-violences quotidiennes) ? La manifestation d’un « fait grave » ne pourrait-elle pas s’expliquer par un dysfonctionnement majeur d’un des éléments du système éducatif (déficit socio-affectif de l’élève ; humiliation par un professionnel, etc.) ? A l’inverse, la violence « contemporaine » à l’école plus diffuse et implicite ne pourrait-elle pas être la conséquence d’un système tout aussi diffus et implicite ? S’il apparaît que le niveau de délinquance est davantage lié à la composition du groupe d’élèves accueilli dans un établissement tandis que le niveau d’indiscipline est davantage lié à l’organisation de l’école (Rutter et Maughan, 2002), de même que les différences entre écoles sont plus importantes pour l’indiscipline que pour la délinquance (Welsh, 2001), alors il est possible d’envisager que le niveau de violence ressentie puisse être lié à un fonctionnement incohérent, diffus et implicite. Partant de cette hypothèse, nous chercherons à comprendre et identifier le fonctionnement institutionnel en étudiant le niveau de cohérence et de clarification des institutions scolaires.
Si le niveau de cohérence correspond au degré de prise en compte des différents univers (défini au chapitre précédent), il est assurément lié au niveau de clarification du fonctionnement institutionnel. En effet, sans une clarification des procédures et processus de fonctionnement, la cohérence du système est inévitablement fragilisée ; le niveau de clarification correspondant alors au degré de formalisation des différents processus et procédures ainsi que des référentiels axiologiques, déontologiques et téléologiques (Joing, 2010) qui permettent à l’institution de fonctionner.
Puisque nous cherchons à appréhender non seulement un niveau de cohérence et de clarification des institutions scolaires mais également les modes de penser et d’agir des professionnels (qui induisent le niveau de cohérence et de clarification du système), nous avons cherché à définir les étapes du fonctionnement institutionnel sur la base du modèle de la pédagogie conative développé par Bui-Xuân (1993, 1998). Les conations renvoyant à l’essence des conduites (Spinoza, 1677/1954 ; Citton et Lordon, 2008), elles peuvent se définir comme « l’inclination à agir dirigée par un système de valeurs incorporées » (Turpin, 1997). C’est pourquoi, nous avons cherché à définir des étapes de fonctionnement en fonction du (des) principe(s) directeur(s) (ou « conations ») qui pousse(nt) les professionnels à agir (la structure, la fonctionnalité et/ ou la technique) (Joing, 2010). Cinq étapes ont pu être identifiées et correspondent à un niveau de cohérence et de clarification du système :
Etape 1 : étape structurale ; une institution de base, un fonctionnement « spontané ».
A cette étape, le fonctionnement est spontané et intuitif ; il est basé sur le bon sens supposé partagé par tous et sur le charisme, le dynamisme des acteurs. L’émotion est plus perceptible que la méthode. En effet, le niveau de clarification est faible et le fonctionnement est basique et empirique. Autrement dit, il y a une tradition orale de l’institution : les projets n’existent pas ou ne sont pas formalisés et les professionnels sont principalement guidés par la volonté de « faire leur travail du mieux qu’ils peuvent » sans que des principes clairs de gestion de comportement aient été définis collectivement. Le travail en équipe est quasiment inexistant : lorsqu’il existe, il s’agit d’équipes ou de groupes affinitaires. La cohérence est limitée : aucun des trois univers n’est réellement exploité. L’institution se trouve alors « en réaction » face à la violence.
Etape 2 : étape fonctionnelle ; une institution qui s’interroge, un fonctionnement incertain.
A cette étape, l’institution réfléchit et s’interroge davantage, a minima, et remet éventuellement en cause ses intuitions de départ. Les questionnements sont partagés avec une partie de « l’équipe ». Néanmoins, le fonctionnement reste incertain et empirique car le niveau de clarification et de formalisation est faible : les processus peuvent être expliqués mais ils ne sont pas formalisés. L’institution fonctionne encore principalement sur une tradition orale. Le travail en « équipe » est difficile et la notion de « groupe » qualifie plus justement l’organisation collective : chacun reste isolé malgré des interrogations similaires. De nombreuses divergences éthiques, axiologiques et techniques existent. Les objectifs et projets lorsqu’ils sont formalisés ne sont en général pas partagés par l’ensemble des acteurs : il n’existe donc pas de projet commun . La cohérence est limitée : aucun des trois univers n’est totalement exploité. En cas d’incident, l’institution est dans la « réaction – réflexion » face à la violence.
Etape 3 : étape technique ; une institution procédurière, un fonctionnement maîtrisé.
A cette étape, l’institution s’est interrogée sur la manière dont fonctionnent les structures performantes. Elle investit largement l’axe technique en mettant en place des routines de fonctionnement qui ont été clarifiées collectivement. Le fonctionnement est maîtrisé : l’équipe existe, elle partage des références éthiques, axiologiques et techniques et affiche une cohérence de fonctionnement. Les procédures sont maîtrisées, le fonctionnement est systématisé. Des projets sont définis ; les engagements et les moyens pour les amener à terme sont clarifiés. Une cohérence est affichée grâce à un travail sur l’univers des usagers et des professionnels. En cas d’incident, l’institution est dans la « réaction – prévention » face à la violence.
Etape 4 : étape technico-fonctionnelle ; une institution adaptative, un fonctionnement optimisé.
A cette étape, le fonctionnement est optimisé : l’institution est guidée par les axes technique et fonctionnel ; elle adapte ses routines aux besoins et évolutions (du monde professionnel, des usagers, de l’environnement). Elle réfléchit à l’efficacité des techniques au regard de la singularité de la population accueillie et de son environnement et analyse les réussites des autres institutions. Les processus sont agiles, un système d’évaluation interne repère les défaillances du système et des régulations existent. L’institution réfléchit aux techniques disponibles pour les rendre efficientes et travaille à proposer un système intelligent c'est-à-dire capable de s’adapter. La cohérence est complète en prenant en compte l’ensemble des univers. En cas d’incident, l’institution est dans la « prévention » face à la violence.
Etape 5 : étape de l’expertise ; une institution experte, un fonctionnement innovant.
L’institution utilise, en plus des éléments des étapes précédentes, le charisme et le dynamisme des acteurs pour proposer un service singulier et innovant. Le niveau de cohérence et de clarification est total. En cas d’incident, l’institution est dans la « prévention – innovation » face à la violence.

METHODOLOGIE
ETABLISSEMENTS PARTICIPANTS
26 collèges publics du département du Nord soit 12,8 % de la population cible (collèges publics du Nord) ont participé à l’étude. Neuf établissements concentrent des difficultés scolaires et sociales et bénéficient d’une classification officielle : parmi eux, tous sont classés en Zone d’Education Prioritaire (ZEP); deux établissements sont classés au titre du plan de lutte contre la violence (RELEV) et un collège possède la qualification d’établissement « sensible ». Dix-sept établissements ne possèdent aucune qualification en relation avec leur population scolaire. Parmi les vingt-six établissements constituant l’échantillon, cinq collèges sont situés dans une Zone Urbaine Sensible (ZUS) . La dernière enquête sociale départementale réalisée par l’inspection académique classe les 203 collèges publics du Nord du plus défavorisé (1) au plus favorisé (203). Les résultats montrent une excellente validité écologique de l’échantillon retenu ; il est en effet très représentatif de la population cible dans sa répartition.
SUJETS INTERROGES
361 membres du personnel ont participé à l’étude. 73.9% des personnes interrogées étaient des enseignants, 16.6% des surveillants ou des assistants d’éducation, 3.8% des Conseillers Principaux d’Education (CPE), 3.4% exerçaient une des fonctions suivantes : Assistante Sociale, médecin, infirmier, enseignant documentaliste, et 1.6% était un personnel Administratif, Technique, Ouvrier, du service Social ou de Santé (ATOSS) autres que ceux mentionnés précédemment. Hormis une légère sous représentation de la catégorie « ATOSS », la structure de l’échantillon est relativement homothétique à celle d’une population d’un établissement scolaire.
3192 élèves ont également participé à l’étude : 1573 filles et 1470 garçons (149 non réponses). 26.4% d’entre eux étaient des élèves de sixième, 23.1% étaient en cinquième, 25% en quatrième et 25.2% en troisième (0.3% non réponse).
INSTRUMENTS
Les professionnels ont complété un questionnaire qui permettait de situer leur établissement sur le curriculum de fonctionnement institutionnel. Les cinq étapes ont été successivement définies en indicateurs, puis en indices, puis en items et enfin en questions (le questionnaire est présenté en annexe 1). Le questionnaire était composé de trois parties. La première partie permettait de recueillir les informations relatives à la fonction exercée au sein de l’établissement et à l’estimation par le sujet de la violence ressentie (« Sur une échelle de 1 (pas du tout de violence) à 10 (beaucoup de violence), à combien estimez-vous le niveau de violence dans votre établissement ? »). Une question ouverte invitait ensuite le répondant à s’interroger sur les caractéristiques d’un établissement scolaire violent. La deuxième partie était constituée de sept questions à choix multiples (et à réponse unique). Chacune des réponses était significative d’une étape de fonctionnement (dans cette partie, l’étape 5 n’a pas été envisagée). La troisième partie proposait quinze affirmations. Chacune d’entre elles était caractéristique d’une étape (trois affirmations par étape). Le sujet devait alors se positionner et dire s’il était d’accord ou pas avec ce qui était affirmé. La mise en évidence d’une corrélation significative (r = 0,54 ; alpha de Cronbach > 0,9) entre la deuxième et la troisième partie du questionnaire valide une bonne consistance interne de l’outil.
Dans un second temps, des entretiens avec les chefs d’établissement de quatre institutions choisies au hasard ont été effectués après la réalisation de l’étude dans le but de confronter les réponses des personnels aux mises en œuvre réelles (triangulation).
Les élèves ont été interrogés sur le niveau de violence ressentie au sein de leur établissement et ont répondu à la question suivante : « Sur une échelle de 1 (pas du tout de violence) à 10 (beaucoup de violence), à combien estimes-tu le niveau de violence dans ton établissement ? ».

RESULTATS : LES MODES DE PENSER ET D’AGIR DES INSTITUTIONS SCOLAIRES COMME FACTEUR « IMPACTANT » LE NIVEAU DE VIOLENCE RESSENTIE
LE FONCTIONNEMENT INSTITUTIONNEL : UN FACTEUR EXPLICATIF DU NIVEAU DE VIOLENCE
Une classification des données en deux clusters a été mise en évidence et a été supervisée par la qualification « ZEP ». Ainsi, le premier cluster est constitué des neuf établissements classés en Zone d’Education Prioritaire (échantillon « ZEP ») ; les dix-sept autres collèges n’ayant pas cette qualification constituent le second cluster (échantillon « non ZEP »).
Les résultats d’une étude corrélationnelle montrent que le niveau de violence ressentie est négativement et significativement corrélé au fonctionnement institutionnel quel que soit le type d’établissement et quel que soit l’acteur (élèves ou professionnels). En effet, en ce qui concerne les établissements situés en Zone d’Education Prioritaire, les résultats montrent que le niveau de violence ressentie est négativement et significativement corrélé au fonctionnement institutionnel que ce soit pour les élèves (r = -0.84) comme pour les professionnels (r = -0.75). Autrement dit, plus le fonctionnement de l’établissement est cohérent et clarifié, plus le niveau de violence ressentie est bas. Ce résultat est également valable pour les établissements « non ZEP », notamment pour les professionnels (r = -0.59). Ainsi, chez les membres du personnel, un manque de cohérence et de clarification dans le fonctionnement institutionnel est un bon indicateur d’un niveau de violence ressentie élevé (tableaux 1 et 2).






Les résultats mettent en évidence la récurrence du fonctionnement institutionnel comme indicateur du niveau de violence ressentie. Plus l’institution est guidée par la technicité et la fonctionnalité, autrement dit plus son fonctionnement est cohérent et clarifié (plus l’institution « compose » avec ses différents univers : prise en compte des caractéristiques de la population scolaire…), plus le niveau de violence ressentie par les élèves et les professionnels est faible (quel que soit le type de structure).
Ce résultat nous éloignent d’une vision fataliste (et défensive) de la violence scolaire et laisse à penser qu’il est possible d’agir, notamment par un fonctionnement adapté. A ce titre, il est nécessaire d’identifier plus précisément les caractéristiques des institutions interrogées.
LE FONCTIONNEMENT SINGULIER DES INSTITUTIONS SCOLAIRES INTERROGEES
L’étude des moyennes arithmétiques obtenues pour chacune des institutions interrogées (N = 26) montre que la majorité des établissements (88.5% ; N = 23) se situe entre une étape 2 et 3 sur le curriculum de fonctionnement institutionnel (figure 1). Autrement dit, il y a une tendance à un fonctionnement incertain : les moyennes d’établissement sont comprises entre 1, 89 et 3, 17 (M = 2, 53) avec un écart type de 0, 29 ce qui signifie que 68% des institutions interrogées se situent entre 2, 24 et 2, 82 sur leur curriculum de fonctionnement et 95% d’entre elles se situent entre 1, 95 et 3, 11.



Si le fonctionnement des institutions interrogées peut largement être associé à un niveau de violence faible ou élevé, il est néanmoins très homogène et caractéristique d’une étape fonctionnelle c'est-à-dire d’une institution qui s’interroge sans méthode. Ce constat nous invite à souligner l’importance des possibilités d’évolution pour les institutions. En effet, ce sont finalement des micro-actions qui permettent à l’institution de s’orienter plus vers une étape 2 ou plus vers une étape 3 et qui semblent avoir des macro-effets sur le niveau de violence ressentie.
Cet homogénéité de fonctionnement est à étudier surtout si l’on considère que la violence à l’école est désormais un thème récurrent de l’actualité éducative et qu’elle touche quasiment l’ensemble les établissements scolaires (Debarbieux, 2003). En effet, ce fonctionnement singulier ne peut-il pas expliquer l’aspect génératif du phénomène de violence ? Et quels sont alors les éléments dans ce fonctionnement qui pourraient être « violentogènes » ? Sur la base de ce questionnement, il convient d’examiner de plus près le fonctionnement institutionnel en étudiant les réponses des professionnels apportées aux différentes questions.
LES CARACTERISTIQUES DU FONCTIONNEMENT DES INSTITUTIONS SCOLAIRES INTERROGEES
L’analyse détaillée des réponses à chacune des questions vise à comprendre le fonctionnement des institutions scolaires et à étudier les actions ou inactions des établissements qui permettent de les caractériser à l’étape deux ou trois sur le curriculum de fonctionnement.
Les résultats issus de l’analyse des réponses apportées par les membres du personnel à la deuxième partie du questionnaire montrent un consensus sur le principe directeur qui anime les institutions scolaires : pour la majorité des questions, les réponses sont caractéristiques de conduites guidées par la fonctionnalité ; autrement dit, il s’agit d’un fonctionnement incertain et d’une institution qui s’interroge (étape 2 du fonctionnement institutionnel) (les résultats sont présentés en annexe 2). En effet, en ce qui concerne les orientations générales des établissements (question 5), 49.2% des professionnels interrogés considèrent qu’elles sont définies et présentées dans le projet d’établissement ; ils sont seulement 9.7% à considérer que « les objectifs sont régulièrement évalués, que les résultats sont systématiquement diffusés et que des régulations existent » (étape 4). Lorsque le contenu du projet d’établissement est évoqué (question 7), 36.9% des personnels interrogés affirment qu’il n’existe pas de projet ou que celui-ci présente un diagnostic sommaire. De plus, 9.7% des sujets interrogés ne répondent pas ce qui laisse supposer une méconnaissance du contenu du projet d’établissement. Lorsqu’une décision est prise au sein de l’institution (question 6), les sujets interrogés considèrent qu’ils en sont en général informés (74.6%), ceux affirmant que les processus de diffusion et d’information ont été formalisés sont minoritaires (16.9%). En ce qui concerne le travail en équipe disciplinaire (question 8), les professionnels considèrent majoritairement qu’il y a des échanges ponctuels qui permettent d’avancer (50.8%). Les sujets affirmant que le travail en équipe est guidé par la technicité, c'est-à-dire que l’équipe a défini des objectifs et des orientations communes, sont peu nombreux (19.3%). En cas d’incident (question 9), les sujets interrogés considèrent largement qu’ils ont le soutien de leur direction et qu’une décision est prise (32.6%). Ils sont également nombreux à privilégier « la structuralité » et la libération des émotions (24.7%) caractéristiques d’une étape 1 sur le curriculum de fonctionnement institutionnel. De même, 26.1% d’entre eux considèrent qu’il existe un protocole de signalement des incidents et que la direction s’engage selon ce protocole (26.1 %) (conduite caractéristique d’une institution « procédurière » et d’un fonctionnement maîtrisé). Cependant, quatre établissements choisis au hasard ont fait l’objet d’une étude complémentaire afin de vérifier l’adéquation entre les réponses apportées par les personnels de l’établissement et la réalité des conduites (entretien avec le chef d’établissement). Il convient de noter que les sujets interrogés dans ces établissements ont manifesté une disparité dans leur réponse par rapport à cette question (tableau 4).



Si systématiquement au moins 1/5ème des sujets affirment l’existence d’un protocole de signalement des incidents, l’entretien avec le chef d’établissement révèle unanimement l’absence de formalisation de celui-ci (aucun document spécifique n’a été élaboré). Le protocole de signalement prend sens à travers des règles de vie scolaire (diffusées grâce au règlement intérieur présent dans le carnet « de correspondance » ou « de liaison » de l’élève) et à travers la gradation des punitions et sanctions (formalisées ou non dans le règlement intérieur de l’établissement). Un extrait de l’entretien avec le principal d’un établissement est révélateur de ces résultats :
Enquêteur : « Ok, alors, je continue même si je crois que vous y avez partiellement répondu mais j’aurais aimé savoir s’il existe un protocole particulier en cas d’incident ? »
Interviewé : « Non. Euh… non. »
E : « Il y a peut-être une procédure qui est connue de tous ? »
I : « Non, c’est vrai que j’avoue que non. »
E : « c’est pourtant étonnant parce que la moitié des enseignants ont répondu qu’il y en avait un ».
I : « alors, peut être qu’ils savent très exactement que quand il y a un problème dans la classe, ils savent ce qu’on doit faire, les quelques consignes, comment… non, je pense pas à un protocole précis, on a des règles de vie scolaire : pour telle chose, un enfant qui doit quitter la classe parce qu’il se rend à l’infirmerie, il y a un protocole à respecter, ils le savent, ils ne peuvent pas laisser sortir l’enfant tout seul, sans surveillance… bon, ce genre de protocole, ils le connaissent, c’est tout ce qui concerne la gestion de la vie scolaire en gros. Mais s’il y avait une situation d’urgence, c’est peut être ça dont vous voulez parler, en situation d’urgence…
E : « oui, ou en cas d’incident tout simplement… »
I : « une violence dans une salle de classe, un enfant qui sort un couteau imaginons…Non, je ne peux pas dire que ce soit écrit, non. Il y a des pratiques mais il n’y a pas très exactement de protocole qui détermine la conduite à tenir en cas de problème, non, c’est vrai. Je dois avouer que dans le cadre de la prévention de la violence, on nous demande effectivement d’établir un protocole et d’établir qui fait quoi dans des situations vraiment d’urgence ; imaginons que nous ayons une intrusion, quelqu’un qui vienne attaquer, ça s’est déjà produit, que ce soit un enseignant ou un élève dans la cour, bon, qui fait quoi ? Comment on réagit ? Non, et on devrait pourtant l’avoir ce protocole écrit. C’est un manque. Et l’an dernier, j’ai suivi un stage pour cela mais je n’ai pas encore eu le temps franchement de le mettre en place ».

Lorsque les professionnels doivent élaborer des choix (didactiques, pédagogiques, administratifs, éducatifs, etc.) (question 10), ils le font en se référant aux pratiques usuelles, de bon sens (37.1%) qu’ils tentent d’adapter la plupart du temps au contexte local (40.2%). Ces conduites prioritaires sont caractéristiques d’un fonctionnement intuitif (étape 1) ou incertain (étape 2). Enfin, d’un point de vue global (question 11), les membres du personnel ayant participé à l’étude sont guidés par un bon sens supposé partagé par tous et considèrent que « chacun fait son travail du mieux qu’il peut » (42.7%). La fonctionnalité est également importante : les professionnels réfléchissent en « équipe » sur des problématiques préoccupantes (31%). Ils sont peu à considérer prioritairement que le système d’organisation est clarifié et maîtrisé (11.5%) et cohérent et ouvert sur l’extérieur (12.6%).
Les réponses apportées à la troisième partie du questionnaire sont synthétisées en annexe 3.
Certaines affirmations sont relativement consensuelles. Ainsi, les personnels interrogés considèrent qu’en cas d’incident, la direction s’engage selon une procédure précise et connue (67.6%). Ils sont également majoritairement en désaccord sur le fait que des enquêtes de satisfaction des élèves, des professionnels et de l’environnement sont régulièrement mises en place (82.5%) et que les rôles et responsabilités de chacun des acteurs sont mal définis (62.5%). Ils ne sont pas d’accord également avec le manque de soutien et d’engagement de la direction en cas d’incident (80.9%), le peu de travail en équipe (64%) ainsi que la mise en place régulière d’évaluations internes (64.3%).
Néanmoins, dans l’ensemble, les réponses aux affirmations sont beaucoup plus mitigées que dans la deuxième partie du questionnaire. Et cette disparité des réponses se retrouve chez les personnels d’un même établissement. Ainsi, l’existence et l’utilisation du projet d’établissement, la définition collective de principes d’éthique professionnelle, l’implication de l’institution dans des projets d’innovation pédagogique fait rarement consensus au sein du collectif institutionnel.
Malgré cette « confusion » relative dans les réponses, la moitié des professionnels interrogés (47%) affirment que l’organisation de l’établissement est cohérente et clarifiée.
L’analyse de contenu réalisée à partir des réponses obtenues à la question « pour vous, qu’est-ce qui caractérise un établissement scolaire violent ? » a permis de dégager sept facteurs : trois facteurs sont fonction de la responsabilité envisagée dans les réponses (responsabilité de l’élève, du monde professionnel ou de l’environnement), trois facteurs prennent en compte l’acteur qui subit la violence (l’élève, le professionnel ou l’institution), enfin un facteur concerne les « indicateurs » de violence (annexe 4).
73,4% des items relevés concernent la responsabilité de l’élève et 12, 1% mettent en lumière une violence subie par le monde professionnel. Autrement dit, un établissement scolaire violent est une structure dans laquelle les professionnels de l’éducation subissent des violences (provenant des élèves) et dans laquelle les élèves manifestent des comportements de violence.
Seulement 4,7% des items relevés font référence à une responsabilité de l’institution et à peine 1,9% envisagent une violence subie par les élèves.
Les résultats mettent en avant une « évidence » : dans l’acception courante, le degré de violence d’un établissement scolaire dépend du degré de violence des usagers. Le paradigme actuel semble être que l’évaluation de la violence d’un établissement passe par l’évaluation du comportement des élèves (jugé violent donc non-conforme aux attentes ou non violent c'est-à-dire adapté au système).
De plus, il y a assurément une centration sur l’élève lorsqu’il s’agit de s’interroger sur la violence à l’école. En témoignent les résultats de l’étude analysant la fréquence d’apparition des mots dans les réponses (tableau 5). Le mot « élève (s) » se détache (nb. cit. = 309) ; arrivent ensuite les termes « violence (s) » (nb. cit. = 231), « physique(s) » (nb. cit. = 178) et « verbale (s) » (nb. cit. = 171).



Les résultats montrent alors un fonctionnement singulier des institutions scolaires qui influent sur le niveau de violence ressentie. Si nous considérons l’hypothèse selon laquelle ce fonctionnement pourrait expliquer l’aspect « populaire » et « génératif » de la violence scolaire, alors il faut souligner la mise en évidence de quatre paradoxes de fonctionnement.

LES PARADOXES QUI EMPECHENT D’AVANCER ?
LE PARADOXE D’UNE CULTURE DE L’ORAL - DANS UNE ECOLE VEHICULANT UNE CULTURE DE L’ECRIT
La fonctionnalité dont font preuve les institutions scolaires est caractérisée par une culture de l’oral par opposition à une culture de l’écrit c'est-à-dire de formalisation et de clarification. Les processus et procédures sont rarement clairement identifiés. Les résultats laissent apparaître le sentiment paradoxal et sans doute caricatural que « tout est connu mais rien ne peut être expliqué précisément ». En effet, le premier indice de cette prédominance orale est sans doute l’absence d’une méthode de recueil des faits de violence. L’institution est inquiète, elle s’interroge sur le phénomène mais ne prévoit aucun moyen objectif de l’évaluer ni de le formaliser . Un extrait d’un entretien avec un chef d’établissement est révélateur du fonctionnement à ce sujet :
Enquêteur : « Est-ce qu’il existe une évaluation interne de la violence ? »
Chef d’établissement : « On travaille avec la CPE, on lui demande régulièrement de nous donner le nombre de bagarres qui ont donné lieu à telle ou telle sanction. Oui, on essaie de faire le point là-dessus mais on ne peut pas dire qu’on le fasse de façon très professionnelle, on n’a pas un protocole non plus, on n’a pas une procédure, non, non. De toute façon […] on n’est pas dans la mesure ».

Il faut souligner également les nombreuses réponses contradictoires des professionnels d’une même institution obtenues dans la troisième partie du questionnaire qui mettent en évidence non seulement un manque de clarification du fonctionnement mais aussi, et paradoxalement, le développement de certitudes (peu de non réponses). Le « flou » n’est pas perçu par le milieu professionnel qui développe plus de certitudes que d’inquiétudes par rapport à l’organisation. En effet, malgré les réponses contradictoires, la moitié des professionnels interrogés considèrent que « l’organisation de l’établissement est cohérente et clarifiée ce qui le met à l’abri des principaux risques » (annexe 3). N’y a-t-il pas dans ces réponses une incohérence majeure ?
De plus, le projet d’établissement n’existe la plupart du temps que du seul point de vue administratif. Près de la moitié des sujets interrogés affirment en effet qu’il n’y a pas de projet d’établissement ou que celui-ci a une valeur formelle (il n’est pas pris en compte par les personnels). La méthode de triangulation a mis en évidence un constat inquiétant : sur les quatre institutions retenues, un chef d’établissement a avoué qu’il n’existait pas de projet (« c’est du blabla » a-t-il affirmé), deux ont avancé que leur projet était en « reconstruction » (il est à noter que pour l’un d’entre eux la moitié des professionnels ont affirmé que le projet intégrait dans son diagnostic les résultats des dernières évaluations…) ; enfin le dernier chef d’établissement a révélé que le projet existant avait une valeur purement formelle, en témoigne l’extrait d’entretien :
Enquêteur : « Est-ce qu’il serait possible d’avoir le projet d’établissement, s’il y en a un ? ».
Chef d’établissement : « Il y en a un mais il n’y en a pas vraiment un ».
Enquêteur : « les réponses mentionnent pourtant l’existence et la prise en compte d’un projet… »
Chef d’établissement : « Bon, il y a un projet d’établissement, il a été réécrit, il est conséquent et il y a tout dedans. Ce n’est pas moi qui l’aie fait, je suis arrivé en 2004, il a été écrit, revu et refait en 2000 je crois, il doit dater à peu près de 2000 ; alors depuis 2004, je n’ai pas réécrit ce projet d’établissement mais régulièrement dans les conseils d’enseignement on évoque nos grands objectifs et ce sont des objectifs qui sont, je crois, partagés, enfin qui le sont maintenant et les grands objectifs de ce projet d’établissement ce sont l’aide aux élèves en difficultés, ça c’est évident. Comme c’est partagé, je pense qu’à travers les réponses des enseignants, ils ont peut-être su dire cela mais ce n’est pas écrit pourtant ».

Pour cet établissement, 60% des professionnels interrogés ont pourtant affirmé que les objectifs avaient été définis et qu’ils étaient présentés dans le projet d’établissement, ce qui est en contradiction avec la réalité des faits.
De même, les résultats obtenus à la question de savoir si des principes éthiques avaient été définis collectivement sont éclairants sur le niveau de clarification et de technicité des institutions. Les professionnels sont en effet 42% à répondre que cette démarche a été effectuée et 51.9% à considérer qu’elle n’a pas eu lieu. 25 institutions sur les 26 interrogées présentent des réponses très contradictoires à cette question. La méthode de triangulation montre que ces principes n’ont pas été, dans trois cas sur quatre, formalisés. Chacun mettant alors derrière la notion « d’éthique » les concepts et principes qu’il défend. Une fois de plus, la culture de l’oral domine et engendre des certitudes : les principes éthiques défendus sont nécessairement ceux des collègues… Un quatrième établissement a lancé une entreprise sur le sujet :
Enquêteur : « Des principes d’éthique ont-ils été définis collectivement ? »
Chef d’établissement : « On a fait cette réflexion, cette année c’était notre objectif. Ben écoutez… notre objectif était : essayons d’harmoniser nos pratiques éducatives et centrons nous sur un « minimum syndical » pour parler très vulgairement, pour que les élèves se reconnaissent un peu dans nos exigences. Harmonisons cela, ce n’est pas facile non plus. On a donc essayé d’harmoniser les pratiques d’évaluation, maintenant harmonisons nos pratiques éducatives, nos exigences en matière d’évaluation, de prise en charge des élèves et… bon, ça a débouché sur un petit consensus, alors bien sûr, c’est un premier pas, en tous les cas, il y a discussion générale (part chercher le document), […] (lecture du document) « les professeurs principaux sont amenés à mener la même réflexion avec leur classe pour aboutir à l’élaboration d’une charte du collégien… » bon, ça, ça n’a pas eu lieu. Il faut toujours impulser mais être un peu dirigiste en tant que personnel de direction […]. Alors, on avait dit par exemple que les élèves se rangent avec l’implication de tous les adultes dès la première sonnerie. On était arrivé à un premier constat, c’est que les élèves n’étaient jamais rangés, les enseignants arrivent, ils faisaient un petit signe et hop, les élèves montaient avec… un chahut. Et donc se présentaient dans les cours pas tout à fait dans le calme… Donc, voilà : « les élèves sont pris en charge entre la première et la deuxième sonnerie pour éviter les bousculades et chahuts. Courtoisie et bon sens sont de mises ». C’était le premier arrêté, on s’est aperçu que la courtoisie, ce n’était pas toujours ça […] ».

Pour cet établissement, les scores des professionnels à cette question sont partagés : la moitié d’entre eux considèrent que des principes d’éthique ont été définis collectivement, l’autre moitié désapprouve cette démarche. Ces données montrent une fois de plus le manque de clarification des procédés et des démarches entreprises. Pourtant, « sans système de valeurs, point de corps social capable de se reproduire » (Lipovetsky et Charles, 2004, 171). Si l’institution ne définit pas clairement ses objectifs, ses principes, ses valeurs, comment peut-elle développer un agir ensemble ? Comment les élèves peuvent-ils s’y retrouver et respecter des règles quand l’institution n’a pas elle-même clarifié son fonctionnement ? En effet, celui-ci semble se baser sur un « bon sens » supposé partagé par tous ; il contribue alors à une certaine culture de l’oral en ne favorisant pas la clarification et la formalisation des éléments qui le structurent. Tout semble se passer comme si tous les professionnels étaient munis dès le départ (la titularisation) d’une culture de bon sens censée les mettre à l’abri des dérives professionnelles. Il y a, pour reprendre les propos de Oury dans la préface d’un ouvrage intitulé « Pathologies des institutions. Réalités, prévention et alternatives » (1990), une « sorte « d’archéologial » qui maintient l’édifice et s’infiltre inconsciemment dans les habitudes des nouveaux-venus » (8). Mais cette culture de l’oral qui caractérise le fonctionnement des institutions scolaires pourrait bien participer au sentiment de violence éprouvé par les élèves et les professionnels (en témoigne la corrélation significative présentée dans la partie « résultats »). De plus, il convient de souligner que le système éducatif prône en permanence une culture de l’écrit : les élèves sont régulièrement évalués sous cette forme et il leur est nécessaire pour réussir de développer cette compétence. L’institution semble donc attachée à cette valeur de l’écrit ; pour autant, elle ne la développe que rarement dans son mode de fonctionnement. Ce véritable paradoxe ne fragilise-t-il pas l’institution dans sa lutte contre la violence en lui faisant faire l’équilibriste ?
LE PARADOXE DU MANQUE D’EVALUATION - DANS UNE ECOLE QUI EVALUE EN PERMANENCE
L’analyse des réponses des professionnels met en évidence le fait que les institutions scolaires agissent mais n’évaluent pas : elles s’interrogent, mettent en place des actions mais ne prévoient pas une évaluation de celles-ci ni les moyens d’y apporter plus d’efficacité et d’efficience. Ce fonctionnement, caractéristique d’une étape fonctionnelle (étape 2) ou technique (étape 3) introduit une incertitude quant à l’efficacité des actions entreprises et pourrait bien empêcher d’avancer étant donné l’absence de remédiations apportées. Pourtant, l’institution développe des certitudes en pensant que les actions menées sont utiles. Les propos d’un chef d’établissement sont révélateurs de ce mode de fonctionnement :
Chef d’établissement : « Il y a des actions qui sont menées en matière de prévention dans le domaine éducatif et ça aussi, ça me paraît également très très important même si on ne voit pas l’impact immédiat et les résultats tout de suite, je pense que dans la durée, on le ressent ».

Le fonctionnement institutionnel ne développe pas de culture d’évaluation ce qui pourrait bien être préjudiciable à sa capacité de lutter contre la violence. En effet, seulement 9.7% des personnels considèrent que les objectifs sont régulièrement évalués, 5.4% affirment que lorsqu’une décision est prise, les moyens pour évaluer sa pertinence sont prévus et présentés et seulement 15.5% considèrent que dans leur équipe disciplinaire, il y a un objectif commun d’amélioration des pratiques et que des évaluations régulières permettent de réguler les objectifs fixés (annexe 2). Ces résultats confirment ceux obtenus par Benghozi (2002) à l’issue d’une enquête réalisée auprès de 20 000 travailleurs sociaux : 43.8% considéraient en effet qu’il n’existait pas de procédure d’évaluation du projet (29.8% n’apportaient pas de réponse à cette question). Les évaluations et les régulations qui caractérisent une étape 4 du curriculum de fonctionnement institutionnel sont donc rarement mises en place. L’enquête réalisée a posteriori auprès des chefs d’établissement révèle que, si des évaluations internes peuvent exister à travers la prise en compte d’indicateurs comme les résultats au brevet des collèges ou encore les données du logiciel SIVIS , les résultats des actions menées sont rarement mesurées. En témoignent les propos d’un des chefs d’établissement rencontrés à l’issue de l’étude :
Enquêteur : « Alors a priori ce sera ma dernière question : est-ce que vous faîtes des évaluations internes ? »
Chef d’établissement : « oui. Alors évaluations ?... »
Enquêteur : « évaluations au niveau des résultats scolaires, de la violence, des incidents… évaluations internes à l’établissement sur des indicateurs que vous jugez pertinents… »
Chef d’établissement : « […] On essaie de mettre en place des actions mais dans l’évaluation, on n’est pas bon peut être, c’est sûr. Dans la vérification, dans le suivi de ce qu’on fait, de ce qu’on met en place, on ne prend pas toujours le temps, on ne prend pas assez le temps d’évaluer ça, c’est vrai, c’est vrai. On passe du temps, voyez je parlais de partenariats tout à l’heure, il faut passer du temps quand on a des partenaires qui viennent, quand on a la gendarmerie, le théâtre qui vient et puis avec les assistantes sociales ; bon ça veut dire qu’on échange assez régulièrement sur les enfants qui, de notre point de vue, posent des problèmes, on a maintenant la confiance de ces assistantes sociales qui pourtant sont soumises au secret professionnel bien sûr mais qui nous donnent des indications en retour pour nous éclairer, pour nous aider à mieux aborder des difficultés d’élèves et de familles bien sûr… Tout ça, oui, on essaie de le mettre en place, on le fait, on pratique mais on ne prend pas le temps d’évaluer et de mesurer et de rectifier éventuellement, non, c’est vrai ».

Le manque d’évaluation dont font preuve les institutions scolaires concernent non seulement la mise en œuvre des projets et des actions mais semble fragiliser également la cohérence du fonctionnement. En effet, en ne cherchant pas à évaluer la satisfaction des élèves, en ne se préoccupant pas du sentiment de cohésion des professionnels ni de son image auprès de l’environnement, l’institution ne se préoccupe pas d’évaluer la cohérence de son fonctionnement. A cet égard, les professionnels partagent largement une culture « non évaluative » puisqu’ils sont 82.5% à ne pas être d’accord avec le fait que « des enquêtes de satisfaction auprès des différents acteurs sont régulièrement mises en place ». Cette assertion a d’ailleurs soulevé un commentaire de la part d’un des personnels interrogé : il mentionnait en effet « faut-il que les élèves soient satisfaits ? Sont-ils à même d’en juger ? ». Cette interrogation et le consensus des professionnels par rapport à cette question révèlent un fonctionnement relativement « isolationniste » et une institution centrée sur elle-même. En effet, pour reprendre les propos du personnel interrogé, est-il si illogique pour juger de la satisfaction de quelqu’un que de l’interroger directement ? Car s’il ne s’agit pas de se soumettre aux « usagers », il convient peut-être de réaffirmer la notion de « service ». A ce titre, il apparaît plus cohérent de s’adresser directement aux acteurs concernés plutôt que de faire la supposition d’une éventuelle satisfaction voire même de ne pas s’y intéresser. De même, comment vouloir développer un partenariat avec les familles sans s’interroger sur leur perception ? Comment lutter contre la violence des élèves sans chercher à comprendre leur langage ? Comment peut-on considérer qu’un projet est adapté quand, dans la majorité des cas, les usagers n’ont pas participé à son élaboration ?
Les propos d’un chef d’établissement confirment les résultats obtenus à ce sujet :
Enquêteur : « Y-a-t-il des enquêtes de satisfaction mises en place au niveau… »
Chef d’établissement : « Franchement, non. Non, c’est vrai. On n’a pas. Bon, les parents font passer des questionnaires aux parents au moment des conseils de classe pour un petit peu… sous cette forme là oui ça existe mais l’établissement n’organise pas de choses comme ça pour vérifier que… Non… On peut le mesurer à travers… on essaie de faire parler de notre établissement et de donner une image positive c'est-à-dire à chaque fois qu’il se passe quelque chose ici, on alerte la presse à chaque fois, si l’événement est suffisamment intéressant bien sûr […]. Ou bien on organise des portes ouvertes pour montrer tout le travail d’une année […] mais on n’organise pas, comment dirais-je des sondages ».

En ne tentant pas de recueillir objectivement les impressions des différents acteurs du système, l’institution reste centrée sur elle-même et développe une posture isolationniste. Elle est « barricadée » de l’extérieur (Moignard, 2006) mais aussi de « l’intérieur » : les tensions entre les adultes et les élèves donnent parfois l’impression que deux bandes s’affrontent sans que l’une ne cherche à comprendre l’autre. Il est important de souligner à ce sujet que, lors de l’élaboration des choix professionnels, les personnels ne sont que 10% à se référer aux attentes des élèves, de la direction et de l’environnement (annexe 2). Cette posture est sans doute le fruit d’un héritage culturel d’une école qui, à l’origine, « se méfie du monde » : Meuret (2007) en comparant les systèmes éducatifs français et américain montre que la conception française est largement investie du modèle durkheimien pour lequel l’école sauve la société d’elle-même ; cette acception sous-tend « l’idée que c’est la société qui doit des comptes à l’école et non l’inverse » .
Cette culture « non évaluative » pourrait bien être pathogène pour l’institution en contribuant à une estimation élevée du niveau de violence. De plus, ce manque d’évaluation introduit un deuxième paradoxe et favorise une nouvelle fois une posture d’équilibriste pour l’institution scolaire tant il est vrai que le système éducatif a une fonction nettement évaluative. Autrement dit, l’institution évalue en permanence les élèves, et pour autant, elle a du mal à rentrer dans une culture d’évaluation pour elle-même.
ELEVE AU CENTRE VERSUS CENTRATION SUR L’ELEVE
« Dès lors que je rencontre le visage de l’autre, j’en suis responsable » (Lévinas ). Lorsque l’institution croise le visage de l’élève violent, qui en est responsable ?
L’étude révèle que lorsqu’il s’agit de réfléchir sur les caractéristiques d’un établissement scolaire violent, c’est la responsabilité de l’élève qui est d’abord envisagée. Or, les résultats montrent qu’un établissement peut être « violent » dans le sens où son mode de fonctionnement est susceptible d’être « violentogène ». Pour autant, les professionnels interrogés dans la présente étude ne semblent pas considérer spontanément ce point de vue puisque seulement 4,7% des items font référence à un indicateur relevant de la responsabilité de l’institution. Un enseignant interrogé a même écrit « un établissement ne peut pas être violent, une population peut l’être de façon très variée : violence physique, verbale, psychologique ». Il semble donc y avoir une conception paradigmatique développée par les professionnels du système scolaire : « la violence ne peut pas venir du fonctionnement de l’institution », elle est quasi systématiquement envisagée du point de vue de l’élève qui manifeste alors une violence verbale, physique, psychologique ou un manque de respect envers les adultes (annexe 4). Lorsqu’il s’agit de la violence à l’école, l’institution scolaire réfléchit donc par l’élève et non pour l’élève. Elle développe en effet un style de croyance (locus of control) dans lequel l’attribution de la causalité est externe : le niveau de violence d’un établissement est dépendant des comportements des élèves (cause externe). Ces résultats interrogent tant il a été montré en psychologie du travail que le degré de locus interne est une variable importante : le fait qu’un individu ait le sentiment que ce qui lui arrive est pour une large part la conséquence de ses efforts et de ses attitudes, a une influence positive sur son investissement dans l’activité (Rotter, 1966). Se donner la responsabilité de ce qui arrive nécessite d’adopter un regard qui permet d’envisager la possibilité de trouver des solutions. Or, en envisageant peu sa part de responsabilité, l’institution peut difficilement trouver les solutions et les moyens efficaces pour lutter contre la violence. Il semble donc que l’institution réfléchisse plus par l’élève que pour l’élève et qu’elle développe une centration sur lui qui l’empêche d’avancer. Si cette conception développée par les professionnels repose sur la légitimité acquise d’une école républicaine fondée sur un modèle pour lequel tout le monde doit être préparé, il est néanmoins nécessaire de la dépasser car cette posture envisage inévitablement l’élève dans ce qui lui manque ou dans ce qu’il n’a pas (élève violent). Ce constat est d’autant plus préjudiciable que certaines recherches mettent en avant un effet d’attentes : autrement dit un regard négatif ou positif sur un établissement ou sur une classe peut inciter ou au contraire réfréner la violence (Murray et Greenberg, 2000 ; Roeser et Eccles, 1998). Enfin, il convient de constater que ce mode de pensée révèle une posture à l’opposé de ce que les professionnels défendent au quotidien, à savoir la place de « l’élève au centre ». En effet, les résultats montrent que la centration sur l’élève le place finalement à la périphérie du système. Ce troisième paradoxe institutionnel semble une nouvelle fois empêcher le monde professionnel d’avancer efficacement contre la violence.
ET LE QUATRIEME PARADOXE?
LA STIGMATISATION DE LA DIFFERENCE COMME UNE SOURCE DE MAL ETRE – DANS UNE ECOLE INCLUSIVE

Les résultats d’une étude plus large (prenant en compte un nombre plus important de facteurs) (Joing et al., 2010 ; Joing, 2010) menée sur la même population mettent en évidence deux aspects : la récurrence du fonctionnement institutionnel comme indicateur du niveau de violence et l’influence plus importante pour les professionnels que pour les élèves des facteurs relatifs aux caractéristiques (sociales et scolaires) de la population accueillie. L’institution aurait-elle alors des attentes qui seraient susceptibles de générer un sentiment de violence ? En effet, les résultats de cette étude révèlent que le niveau scolaire des élèves de sixième ainsi que les résultats obtenues au brevet des collèges sont déterminants pour l’évaluation de la violence par les professionnels des établissements « non ZEP ». Ils révèlent également que l’origine sociale de la population scolaire accueillie est déterminante pour le niveau de violence ressentie des adultes quelle que soit la structure. Le décalage culturel vécu par les professionnels ne serait-il pas alors un symptôme supplémentaire ? Finalement, la façon dont l’institution vit les différences n’est-elle pas problématique ? Si à travers ces résultats un « effet de composition » est mis en évidence, ils semblent, dans le même temps, révéler une gestion problématique de la différence. En effet, plus l’établissement est « favorisé » (au niveau social), plus le niveau de violence ressentie par les professionnels est faible. Faut-il alors considérer les caractéristiques sociales de la population accueillie comme un facteur indiscutable dans l’explication de la violence ou est-il possible d’envisager que les attentes développées par les professionnels par rapport à leur public ainsi que le décalage culturel qui les sépare des élèves constituent un aspect symptomatique non négligeable ? Le fait que le facteur lié aux caractéristiques sociales des élèves soit plus volontiers l’apanage des professionnels laisse une place acceptable à l’hypothèse d’une cause endogène. De même, dans les établissements « non ZEP », le facteur lié aux résultats scolaires (moyennes des élèves obtenues aux épreuves du brevet des collèges) vient s’ajouter au classement social comme variables explicatives du niveau de violence ressentie par les professionnels. Le niveau scolaire des élèves à l’entrée en sixième intervient également dans le sentiment de violence des adultes. Dans ce type de structure, les attentes des personnels en ce qui concerne les résultats scolaires peuvent être importantes tant il est vrai qu’en France, l’identité professionnelle des enseignants du secondaire est construite sur une logique d’enseignement disciplinaire (Barrier et Pain, 1997 ; Duru-Bellat et Dubet, 2000 ; Dubet, 2002). La question d’un effet pervers des attentes peut alors être posée.
L’institution semble donc vivre assez mal la différence et, dans le cadre d’une politique d’intégration et d’inclusion, il est possible de se demander si l’institution ne développe pas là encore un mode de fonctionnement qui l’empêcherait d’avancer efficacement dans sa lutte contre la violence.

CONCLUSION : VERS UNE RESPONSABILITE FONCTIONNELLE DE L’INSTITUTION SCOLAIRE DANS L’APPREHENSION DE LA VIOLENCE A L’ECOLE ?
L’objet de la recherche était d’appréhender le fonctionnement des institutions scolaires dans le but d’examiner l’impact de celui-ci sur le niveau de violence ressentie par les différents acteurs (élèves et professionnels). Le défi était d’introduire un regard « nouveau », plus global, pour comprendre les phénomènes qui touchent l’école, et notamment la violence. Nous partagions alors le constat émis par Cécile Carra (2009b) qui affirme que les recherches sur le sujet s’intéressent peu « à l’établissement, son équipe, son fonctionnement, son organisation, ses pratiques professionnelles […] » et que « la représentation dominante qui apparaît en creux est celle d’une école qui subit des violences qui lui sont étrangères et qu’elle doit gérer ». C’est pourquoi, nous avons tenté d’appréhender le fonctionnement institutionnel d’une manière globale et compréhensive et non en mettant l’accent sur tel ou tel facteur d’un établissement susceptible d’avoir un effet sur le niveau de violence. Les résultats montrent l’importance jouée par le fonctionnement institutionnel sur le niveau de violence ressentie et mettent en évidence un fonctionnement singulier des institutions interrogées ; fonctionnement que nous avons choisi de discuter en faisant émerger quatre paradoxes. Si certaines limites métrologiques de l’outil peuvent être émises et si le choix d’étudier la violence à travers le filtre d’une violence ressentie auto-estimée peut être discuté, il n’en reste pas moins que l’étude s’est intéressée à une question vive des recherches sur le sujet : celle de la compréhension du fonctionnement institutionnel et de son impact sur le niveau de violence.
L’étude s’intéressant à l’origine des actions (et/ ou des inactions), autrement dit aux modes de penser et d’agir des professionnels, il est alors possible de parler de responsabilité fonctionnelle des institutions scolaires sur le niveau de violence ressentie à l’école.
Actuellement, les réponses pour faire face à la violence en milieu scolaire semblent s’organiser autour de trois postures différentes : une posture préventive sous-tendue par les nombreux programmes de prévention (préconisant certains aspects comme le travail en équipe, le partenariat école-police-justice, la formation des enseignants…) ; une posture coercitive s’inscrivant dans une radicalisation des pratiques professionnelles (durcissement des règles et des sanctions dans le but de dissuader les individus à développer certains comportements) ; enfin une posture défensive (Carra, 2009) centrée sur le repérage des individus à risque. L’approche utilisée (« conative ») ainsi que les résultats obtenus invitent à adopter une « posture active » dans laquelle l’institution est invitée à remettre en question son fonctionnement, ses modes de penser et d’agir afin d’impacter sur le niveau de violence ressentie. Si la fonctionnalité ne suffit pas à proposer un environnement mettant le système scolaire à l’abri d’un sentiment de violence, alors il convient sans doute d’envisager une évolution des « conations institutionnelles ». Bien entendu, la mobilisation politique, institutionnelle et professionnelle est importante et, sur le terrain, les professionnels ne sont pas sans ignorer l’importance des facteurs endogènes. Mais le problème pourrait bien se situer sur le plan conatif c'est-à-dire au niveau d’un système de valeurs incorporées qui orientent les modes d’action et de pensée et limite la résilience.


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Read also

> Summary
> 1 - Signification des comportements à connotation violente et gestion des interactions dans une classe RAR
> 3 - Un facteur déterminant du climat à l'école élémentaire tchèque : la sélection scolaire précoce
> 4 - School characteristics as predictors of bullying and victimization among greek middle school students
> 5 - Prevalence of bullying among cyprus elementary and high school students


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