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1 - Régualtion cognitives, construction des règles et de la notion de justice chez des enfants de 6 à 12 ans vivant en Zone Urbaine Sensible
by Béatrice Clavel-Inzirillo, Daniel Derivois, Université de Lyon, Laboratoire Interuniversitaire Santé-Individu-Société (EA SIS 4129) - Delphine Bidaud, Yasmine Gianelli, Centre de recherche et d'éducation par le sport


Theme : International Journal on Violence and School, n°6, November 2008

Nous présentons ici une étude menée depuis 10 ans auprès d’enfants âgés de 6 à 12 ans vivant en ZUS et pratiquant le football. Le C.R.E.S. (Centre de Recherche et d’Education par le Sport) a engagé depuis quelques années maintenant une dynamique de recherche-action autour de plusieurs axes de travail afin de prendre en compte la complexité du développement de l’enfant. L’objectif est de pouvoir préciser les modalités de construction des compétences sociales et socio-cognitives de ces enfants et de proposer des dispositifs d’accompagnement qui favorisent, notamment à travers l’activité sportive dans une démarche de prévention, la construction de ces compétences. Les résultats montrent donc qu’une forte proportion d’enfants de notre échantillon n’a pas construit un mode de relation opératoire basé sur une logique causale et que leur conception des règles et de la justice se fonde sur l’hétéronomie.

Keywords : Enfant, Régulations cognitives, Socialisation..
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CONTEXTE DE LA RECHERCHE
Nous présentons ici une étude menée depuis 10 ans auprès d’enfants âgés de 6 à 12 ans vivant en ZUS et pratiquant le football. Le C.R.E.S. (Centre de Recherche et d’Education par le Sport) a engagé depuis quelques années maintenant une dynamique de recherche-action autour de plusieurs axes de travail afin de prendre en compte la complexité du développement de l’enfant. L’objectif est de pouvoir préciser les modalités de construction des compétences sociales et socio-cognitives de ces enfants et de proposer des dispositifs d’accompagnement qui favorisent, notamment à travers l’activité sportive dans une démarche de prévention, la construction de ces compétences.
On parle en effet de facteurs de vulnérabilité dans les Z.U.S. qui s’entremêlent et rendent la situation complexe. Parmi eux on peut évoquer : le chômage et le contexte socio-économique de la famille, les troubles scolaires et des apprentissages, les mauvais traitements physiques, les ratés dans les processus d’insertion, une structure familiale en déséquilibre, toutes les formes de perturbation dans un contexte où la délinquance et les comportements sous forme d’incivilités sont importants.
A partir du moment où l’enfant se développe dans un contexte où s’intriquent quatre facteurs de vulnérabilité on peut parler d’un contexte problématique rendant son évolution, notamment socio-cognitive, difficile. L’objectif est de prendre en compte voire de transformer ces facteurs de vulnérabilité en facteurs de protection.
Pour cela, dans la limite du rôle et des missions qu’il peut proposer comme c’est le cas pour chacun des différents lieux de vie de l’enfant, le C.R.E.S. tente de proposer une démarche de prévention en rapport à plusieurs de ces facteurs.
Entre 6 et 12 ans l’enfant apprend normalement à construire les processus de socialisation : élaboration de règles collectives, coopération. Il apprend à cet âge à résoudre un problème collectivement de façon logique ; autrement dit, il devient capable d’élaborer des règles. Or, certains enfants, à cause notamment d’un contexte social difficile et en manque de sollicitations adaptées, n’y parviennent pas. Ceci pourrait concerner une majorité d’enfants dans les quartiers urbains sensibles et expliquer en partie la violence d’adolescents qui n’auraient pas construit ces capacités durant l’enfance.
Cette étude a pour objet d’identifier de manière objective les modes de régulation sociale développés par les enfants auprès d’une population de 174 sujets que nous avons observés dans des situations naturelles et auxquels nous avons proposé des entretiens dans différentes situations de résolution de problèmes ( jugement moral, problèmes logiques impliquant les notions d’espace, de nombre, de quantité).
La méthode employée est qualitative, nous avons procédé à des entretiens clinico-critiques et nous avons analysé les réponses des sujets en nous référant à des hypothèses sur le développement socio-cognitif de l’enfant.
Nous présenterons le contexte de cette étude ainsi que nos modèles de référence qui nous ont conduit à situer le développement de l’enfant dans un réseau d’interrelation qui détermine les modes de régulation intersubjectives que celui-ci va construire.
 
LA SOCIALISATION
Selon Malewska- Peyre et Tap (1991), tout le monde s’accorde à définir la socialisation comme le processus par lequel le nourrisson devient progressivement un être social, par le double jeu de l’intériorisation (de valeurs, de normes et de schémas d’actions) et de l’accès à de multiples systèmes d’interactions (interlocution, intersubjectivité, coopération). Mais, selon ces auteurs, les divergences se font rapidement jour lorsqu’il s’agit de préciser la nature et les fonctions de la socialisation, les conditions de son émergence et les déterminants de son évolution.
La sociologie a longtemps insisté sur l’importance du contrôle social dans la socialisation, développant une certaine homogénéité parmi les membres du corps social, et décrivant un processus passif qui soumet l’individu aux poids des déterminismes sociaux. Le constat que la stabilité, l’homogénéité et la survie même d’une société soient conditionnées par la transmission de ses valeurs, normes et modèles de comportement à la jeune génération, avait conduit à voir la socialisation comme un processus d’éducation méthodique de sujets considérés comme essentiellement malléables.
Pour les psychologues en revanche, il s’agit surtout d’étudier comment le développement du sujet s’effectue en liaison avec sa capacité à vivre en société. La socialisation serait alors conçue comme une série d’ajustements entre le développement des structures cognitives et affectives du sujet et son environnement. Cet ajustement, fait d’équilibres, de déséquilibres et de régulation, conduit à penser la socialisation non pas comme un processus linéaire, mais comme un processus certes continu, mais sujet à des ruptures « La socialisation est l’histoire des désocialisations et des resocialisations successives qui délimitent les différents temps sociaux de la vie ». (Mollo-Bouvier, 1991, 292)
 
Nature et fonction de la socialisation
Selon Piaget, il existe deux étapes fondamentales dans la construction des rapports que l’enfant établit avec autrui. Ses investigations développées et analysées dans son ouvrage intitulé Le Jugement Moral chez L'Enfant (1932) permettent de reconnaître deux stades distincts de développement du jugement moral.
● Lors du premier stade, stade du « réalisme moral », la règle morale est fondée sur l'obéissance à l'adulte. Ces règles agissent comme des réalités objectives incontestables. L’enfant ne juge pas tant l'intention du sujet que la matérialité de l'action. Ainsi, il juge de la gravité d'une faute, en fonction de la visibilité de l'acte fautif, pour l'adulte, et la gravité de la punition infligée par ce dernier.
● Au second stade, celui de la coopération l’enfant obéit à la règle, pour elle-même, et non en raison de sa soumission à l'adulte. Mais il faut, de surcroît, que l'enfant s'approprie cette règle. Il doit, donc, être capable de la justifier. Il fait dépendre son obéissance à la règle, de la légitimité qu’il lui octroie, en fonction de son propre raisonnement. En s'appropriant la règle morale, en la confrontant à son exigence de justice, l'enfant se définit comme auteur de cette règle, du moins, comme acteur, dans son élaboration.

La transition au stade de la coopération dépend, par conséquent, du niveau de développement intellectuel. Piaget établit un rapport d'isomorphisme entre ce dernier et le développement du jugement moral.

Justice et sanction
● La sanction est considérée comme une simple expiation de la faute.
● L'enfant ne peut, à ce stade, penser la justice, sans l'aide du concept de la réciprocité. La justice est définie par rapport à l'exigence d'égalité, puis d'équité. La maturité intellectuelle permet alors de penser la réciprocité. L'enfant envisage la sanction dite "par réciprocité". Il s'agit d'une sanction dont la fonction n'est pas d'expier la faute par la souffrance, mais de réparer le dommage causé par la faute. La sanction doit être proportionnelle à l'acte fautif et logiquement corrélée à ce dernier. Cela suppose que l'enfant soit parvenu au "stade des opérations concrètes", celui au cours duquel se développe la pensée opératoire. Ce passage de l'intelligence intuitive à l'intelligence opératoire représente la condition d'une telle représentation de la justice et de la sanction. Le concept de la réciprocité, dans le rapport entre pairs, suppose la catégorie "logique" de la réversibilité.

Relation entre développement cognitif et système de relation à autrui : égocentrisme et décentration
La pensée de l'enfant est d'abord égocentrique, par incapacité de se décentrer, c'est-à-dire de prendre en compte le point de vue d'autrui, pour le coordonner avec le sien. Vers 5 ans (sous-stade des représentations articulées), la pensée est encore égocentrique c'est-à-dire prélogique, préconceptuelle et intuitive. L'intuition est une action intériorisée, fondée sur les représentations, mais encore dépendante de l'action et des perceptions.
Vers 5-6 ans le raisonnement se modifie, par réduction de l'égocentrisme. Les progrès de la décentration permettent d'envisager simultanément différents points de vue et se situer par rapport à l'ensemble des perspectives possibles. L'enfant établit un système de relations communes et réciproques entre les choses, les personnes et lui-même. La pensée devient plus mobile, les représentations s'articulent et se coordonnent. Vers 7-8 ans (mise en place des opérations concrètes) la pensée devient opératoire. Piaget définit l'opération comme une action intériorisée, réversible, et qui peut se coordonner en structure d'ensemble. La réversibilité d'une opération suppose l'existence d'un invariant malgré les transformations (par ex. la quantité d'un liquide reste invariante quelle que soit la forme du ou des récipients dans lesquels on le transvase). Ces opérations sont d'abord concrètes, parce qu'elles portent sur des objets concrets, réels, manipulés par l'action ou en représentation. C'est seulement beaucoup plus tard, vers 12 ans et au-delà, que ces opérations mentales pourront porter sur des contenus abstraits (hypothèses, propositions formalisables).
La mise en commun et l'usage des règles d'un jeu supposent la coordination des points de vue par la décentration.
 
La règle
La règle est un processus de régulation sociale. « Il y a (…) deux types de règles allant de pair avec les deux respects : la règle extérieure ou hétéronome et la règle intérieure : la seconde seule aboutit à une transformation réelle de la conduite spontanée (Piaget, 1932, 30) ». Ainsi, la construction des règles est liée au rapport que l’enfant entretient avec les autres. En effet, les règles dictées dans un rapport de contrainte seront perçues par l’enfant comme des règles sacrées et intangibles puisque la construction de ces règles reste extérieure à l’enfant. Ensuite, progressivement, l’enfant va comprendre que ces règles sont le produit d’un accord entre différentes personnes, notamment à travers les rapports de coopération où les enfants vont être capables d’inventer des règles de jeu en coordonnant leurs différents points de vue (Piaget, op. cit.).
Jeux et sports comportent des règles. Pour Parlebas (1981, in Durand, 1994) il s'agit d'un contrat ludique entre les protagonistes du jeu ou du sport, contrat dont le respect conditionne le maintien de l'activité.
On pourrait rapidement attribuer une fonction de socialisation au sport (au même titre que le jeu) par le fait que sa pratique implique une connaissance et une acceptation d’une même règle pour tous. La question qui se pose cependant, est celle de savoir si une pratique de la règle suffit à son intégration.
Durand décrit l’évolution des règles dans le jeu sportif :
● Vers 5-6 ans, les règles sportives sont perçues comme imposées de l'extérieur par une autorité adulte. “ Sans réelle utilité, elles sont transgressées sans vergogne à seule fin de se venger d'un adversaire ou de parvenir au résultat attendu. ” L'enfant n'éprouve ni remord ni culpabilité.
● Vers 8-9 ans “ apparaît un intérêt intense pour la règle en réaction contre la tricherie... omniprésente... [dans]... toutes les formes d'interactions ludiques ”. Les règles sont jugées indispensables et légitimes pour empêcher la tricherie, mais en même temps on peut les enfreindre au bénéfice de l'efficacité. Les enfants ont donc une attitude ambivalente. “ ... L'absence de décentration caractéristique de cette période les conduit à ne pas admettre le principe de réciprocité, d'égalité de tous devant la loi. ”
● Vers 11-12 ans (aux abords de l'adolescence), “ Les règles sont des conventions librement acceptées, dont la transgression est simultanément admise et réprouvée. Curieusement ces infractions font l'objet d'une rationalisation secondaire et les violations sont justifiées non plus par la recherche de l'efficacité mais au nom de critères moraux. (Durand, 1994,60).

Les conditions d’émergence des compétences sociales : le rôle du milieu

L’apprentissage et les principaux agents de la socialisation
Nous avons décrit dans ce qui précède, à partir des travaux de Piaget, en psychologie du développement, la construction progressive de schèmes qui déterminent les relations que l’enfant établit, avec les objets mais aussi avec d’autres sujets.
Ainsi, les notions de décentration, de réciprocité, de prise en compte de différents points de vue, impliquent une évolution depuis la pratique des règles jusqu’à leur intégration ainsi qu’une évolution de valeurs morales comme la justice.
C’est par le biais de son insertion dans les groupes auxquels il appartient par la naissance (famille, groupe social, etc.) ou dans lesquels il s’intègre (école, groupes de pairs, club sportif, etc.) que l’enfant devient progressivement un membre à part entière de la société dans laquelle il vit. En fonction des sollicitations du milieu mais aussi des réactions de l’entourage de l’enfant, celui-ci va pouvoir ou non développer un certain nombre de compétences sociales.
Certains contextes peuvent être considérés comme favorables à la construction de ces compétences alors que d’autres, au contraire, semblent constituer des situations défavorables. Nous décrirons les caractéristiques de ces contextes puis nous essaierons d’analyser les critères qui semblent déterminer en partie au moins, l’évolution de la construction de certaines compétences chez l’enfant.
 
Un contexte particulier : les ZUS, caractéristiques sociologiques
Jusqu’au début des années 80 personne ne parlait de Zone Urbaine Sensible. Les études permettent de relater un certain nombre de facteurs dits de « vulnérabilité » qui se retrouvent fortement concentrés auprès de ces populations.
On relève notamment parmi ces facteurs un milieu familial déstructuré, des problèmes importants de dépendance et toxicomanie, de criminalité et délinquance, un contexte de pauvreté chronique, un fort taux de chômage de longue durée, des troubles des apprentissages fondamentaux ou d’importantes difficultés scolaires, des ratés dans les processus d’insertion et d’orientation, la dégradation du climat social au fil du temps, des problèmes de communication et d’information et d’autres encore.
Si on admet que la société se présente comme une organisation dans laquelle l’enfant s’intègre par de courtes séquences d’apprentissage des rôles qu’il doit connaître et assumer, on observe que le schéma de cette organisation est particulièrement déstructuré dans les ZUS en raison des drames qui en découlent : échec scolaire, chômage, familles éclatées. Privés de règles stables, d’images d’identification rassurantes, de possibilités d’expérimentations protégées, et dans l’incapacité de s’imaginer un avenir attractif, les jeunes ont des difficultés à appréhender le fonctionnement social et les règles qui le sous-tendent (Clément, 1996).
Selon Greppo (1998), on se rend compte que durant les années soixante, l’exode rural provoque un phénomène de disparition culturelle, les personnes n’étant pas habituées aux manières de penser, voir et sentir du milieu urbain. Contrairement à la société traditionnelle, les enfants sont devenus plus savants que les parents ; ainsi, le savoir coutumier est devenu inopérant, les enfants devaient innover (en psychanalyse, on parle de l’absence de la parole du père).
Ainsi, l’absence de système commun sur les manières de penser, de sentir et les systèmes de règles, de signes et de valeurs qu’ils véhiculent provoque des déséquilibres entre micro et macro-milieu, le micro-milieu ne pouvant plus compenser ses déséquilibres à cause de la dévalorisation de la fonction paternelle. Ceci se traduit chez les jeunes par une impossibilité à effectuer des régulations ; ils procèdent alors selon des modes de pensée fondés sur la perception et croient que les choses sont telles qu’on les perçoit sans que ces fonctions soient régulées par des systèmes de signification, par des signes sociaux. Les significations sont subjectives, basées sur l’expérience individuelle sans personne pour énoncer les significations collectives, sans parole pour un échange sémiotique possible. On entre alors dans une logique d’action et de violence. Le système de construction sociale est fait d’expériences d’exclusion entraînant des conduites délirantes.
Concernant la genèse des relations sociales (socialisation), le sujet se développe en interaction avec la société dans laquelle il vit, celle-ci étant composée de microsystèmes (famille, école, pairs). Ces divers microsystèmes vont être des agents de la socialisation. Le sujet développe donc des procédures en fonction des situations et établit des régularités en fonction de ses expériences, il donne sens aux relations à travers elles. Le contexte est donc très important et en fonction de celui-ci, les interactions pourront être de différentes natures.

Interactions et régulation sociale
Nous présentons dans ce qui suit des approches qui tendent à démontrer que c’est bien au sein des interactions que l’enfant établit des régulations (modes de régulation intersubjectifs (Clavel, 2003)) qui vont lui permettre de symboliser et transformer une « violence fondamentale » (Bergeret, 1984) en modes de régulation sociale de plus en plus élaborés et complexes.

La violence
D’après Bergeret, « le discours sur la violence envahit toute une partie du champ social et politique dans la plupart de nos nations et parvient même à encourager, voire à constituer, une contre-violence individuelle et collective tout aussi violente que celle dénoncée chez les autres. » (1993, 202)
Il souligne que l’intérêt porté à la violence ne concerne en général que les exactions découlant de la violence extériorisée chez certains individus et non pas concernant les sources de la violence. Ceci le conduit à dénoncer le fait que « cette erreur dans la façon d’aborder un problème individuel et collectif très sérieux nous conduit à limiter les remèdes à la violence ainsi décrite au seul cadre répressif ce qui n’apparaît comme satisfaisant ni du point de vue de l’efficacité ni du point de vue de la réflexion scientifique sur les problèmes de l’homme en général et du jeune en particulier » (ibidem)
Toujours selon Bergeret (idem), le petit enfant naît obligatoirement violent et il est né de parents chez lesquelles la violence est obligatoirement présente. Cet auteur fait le différence entre la violence (la « violence fondamentale », d’ordre pulsionnelle et force de vie, présente chez tout sujet) et l’agressivité (déstructurante) qui correspond à une non sublimation de cette violence en processus de pensée. Le sujet va devoir apprendre comment négocier au mieux pour lui-même comme pour les autres cette violence affective naturelle qui l’anime. « Une telle négociation s’effectuera en fonction de la façon dont ses environnements successifs et concentriques vont apprendre à l’enfant à utiliser sa violence affective innée. »(idem, p 211).
Toujours selon le même auteur, si l’entourage excite la violence naturelle de l’enfant par des comportements agressifs de toutes sortes, l’enfant ne sera pas capable d’intégrer sa violence originelle vécue comme trop envahissante ; il sera conduit à extérioriser cette violence dans des comportements devenus agressifs à leur tour et tournés contre les autres ou soi-même. « L’enfant mettra son besoin de plaisir au service de cette agressivité au lieu de placer, comme il conviendrait, sa violence affective naturelle au service de la tendresse et de la créativité. » (idem p 218)
Bergeret propose des remèdes et surtout les mesures de prévention. Selon lui ces mesures doivent se situer aussi bien dans le registre collectif qu’individuel. Ils ne peuvent se limiter aux mesures répressives. Il s’agit d’air assez tôt sur les enfants pour leur proposer des conditions de vie les aidant à intégrer à des fins positives leur violence naturelle.
« Il ne sert à rien de vouloir résoudre les conflits violents par de beaux discours ou de bons conseils venant de l’extérieur ou « d’en haut ». Il appartient à l’environnement familial et aux systèmes socio-éducatifs d’aider les jeunes à se constituer eux-mêmes une personnalité originale, et tenant compte des réalités intérieures et extérieures qui les concerne afin qu’ils parviennent à y puiser matière à création personnelle. »(idem, p217).
Il pense que le milieu et les échanges entre l’adulte et l’enfant jouent un rôle très important pour l’enfant.
L’apprentissage du bon usage de la violence naturelle résulte d’une interaction progressive et continue entretenue entre l’enfant et l’adulte. L’adulte adresse à l’enfant des messages concernant tout autant l’usage qu’il y a lieu de faire de l’affectivité violente et de l’affectivité sexuelle. Ces messages seront reçus par l’enfant et l’enfant y répondra, de façon plus ou moins heureuse, en fonction de la manière dont de tels messages auront été transmis.
« Ils convient donc que les messages de l’adulte soient à la fois suffisants, pas trop excitants et qu’ils impliquent la capacité d’utiliser positivement les pensées tout autant que l’expression verbale, autrement dit la communication. »(idem, p 218 )
 
Le rôle de l’adulte
Nous nous sommes intéressée (Clavel, 2003) au rôle de l’adulte et au type de sollicitations que celui-ci pouvait fournir aux enfants. Différents types de sollicitations sont proposés et ceci semble jouer un rôle fondamental dans les formes de procédures ensuite développées par l’enfant. Or il semble ici important d’identifier le fonctionnement de l’adulte lui-même à la fois dans son mode de relation au milieu extérieur et dans son rôle pédagogique et la façon dont il l’envisage.
Ce qui semble important n’est pas tant le type d’activités qu’on propose à l’enfant mais la façon dont on va le questionner et/ou l’impliquer dans la prise de conscience de la situation qu’on lui présente.
La prise de conscience
Le développement de la coopération dépend de la prise de conscience du lien entre une action et son résultat et de la prise de conscience de la coordination de différentes actions (relations interindividuelles) pour l’obtention d’un but commun. Tout ce qui peut favoriser l’émergence chez l’enfant de cette prise de conscience lui permet de cheminer vers la coopération. A l’opposé, divers facteurs peuvent empêcher ou freiner cette émergence. Il convient notamment de réfléchir à l’organisation du système familial et au mode d’interaction en jeu entre ses différents membres. En effet, le premier système social dans lequel évolue l’enfant est sa famille et il tendra à reproduire ailleurs, la même logique c’est-à-dire à transposer les procédures qui ont été favorisées chez lui. Par la suite, l’école et les différents milieux sociaux dans lesquels évoluera l’enfant prendront de l’importance mais se posera alors la question d’une cohérence entre les différents types de sollicitations auxquels il sera confronté.
Les logiques du système dans lequel grandit l’enfant peuvent être de divers ordres :
● logique de l’action
● dialogue, échange
● sollicitation à la prise de conscience

Ces différentes logiques sont en lien avec les formalisations culturelles d’un groupe considéré.

La logique de l’action : réussir plutôt que comprendre
La construction procédurale du sujet dépend en partie de la qualité des échanges qui existent avec les personnes qui l’entourent. La famille joue donc un rôle prépondérant dans ce développement. Dans tous les cas, on peut également prendre en considération la fonction d’autres adultes, notamment les pédagogues qui interviennent régulièrement auprès des plus jeunes. Si l’on sollicite uniquement l’action ou la répétition d’action on ne fait que favoriser les conduites d’imitation sans que l’enfant ne puisse expérimenter ni constater le résultat de différentes actions ou transformations. C’est ce qui semble se produire dans de nombreux cas pour les enfants de notre population qui vivent souvent dans un milieu où est privilégiée la logique de l’action. On les questionne peu sur ce qu’ils font et pourquoi ils le font, et on ne leur propose guère d’envisager d’autres situations que celles immédiatement perceptibles.


HYPOTHESE
H1/Du fait du manque de situations de communication dans lesquelles l’adulte adresse à l’enfant des messages concernant ses expériences vécues dans un environnement social qui par conséquent ne favorise pas non plus la prise de conscience du lien causal entre les actions et le résultat de celles-ci, on s’attend à ce que les enfants vivant en ZUS développent majoritairement des modes de régulation figuratifs sur la plan cognitif et hétéronomes du point de vue des relations sociales.
H2/ La pratique de la règle ne suffit pas à l’intégration de celle-ci, on s’attend donc à ce que les enfants de notre échantillon qui pratiquent le football n’aient pas pour autant construit nécessairement une expérience sublimée permettant l’appropriation de ces règles.


METHODE
ECHANTILLON
Notre travail s’est effectué sur plusieurs années durant lesquelles nous avons observé et rencontré 174 enfants âgés de 6 à 12 ans issus de ZUS de la banlieue Lyonnaise et Marseillaise. Tous pratiquent le football en club.

PROTOCOLE
 
Déroulement
Nous avons procédé à des entretiens individuels avec chaque enfant. L’entretien rassemble les diverses épreuves présentées par la suite. L’intervenant proposera successivement les épreuves à l’enfant, en laissant à l’enfant le temps de répondre et la possibilité d’utiliser le matériel, en sollicitant son intérêt, en reformulant les questions ou faisant préciser les réponses.
Les épreuves opératoires permettent d’évaluer le niveau de développement cognitif de chaque enfant mais également le niveau de régulation (rejet, imitation, vérification, intégration) qu’ils utilisent lors de situations de résolution de problèmes. Notre évaluation portera sur un niveau structural mais également fonctionnel.
Selon Piaget, c’est vers 7-8 ans que l’enfant utilise les opérations concrètes infra-logiques et les opérations concrètes logico-mathématiques.

Epreuves
Pour vérifier la validité de notre première hypothèse, nous avons élaboré un protocole expérimental contenant des épreuves destinées à évaluer le niveau de développement sociocognitif des sujets de notre échantillon.
Ainsi, nous avons utilisé des épreuves opératoires avec des critères d’analyse des réponses des enfants qui nous permettent d’identifier la nature des régulations cognitives des modalités de pensée de type figuratif à un raisonnement opératif intégrant la prise de conscience des transformations.
Concernant la représentation de l’espace, nous avons utilisé quatre épreuves opératoires piagétiennes :
● Epreuve de la verticale
● Epreuve des points de vue
● Epreuve de conservation des longueurs
● Epreuve de conservation des surfaces

Nous avons également proposé des épreuves cognitives de l’examen opératoire à certains enfants.
● Epreuve infra-logique de la conservation de la substance
● Epreuve logico-mathématique du « tous » et « quelques »
● Epreuve logico-mathématique des dichotomies :
● Epreuve de quantification d’inclusion

Concernant la socialisation nous effectuerons des entretiens individuels cernant le niveau de construction de :
● La conscience de la règle
● La notion de sanction rétributive

Ce sont des épreuves élaborées par Jean Piaget et décrits dans ses divers travaux de recherche sur la construction des connaissances. Nous partons de son travail et notamment de ses réflexions et expérimentations de trois de ses ouvrages :
(1932) Le jugement moral chez l’enfant
(1947) La représentation de l’espace chez l’enfant.
(1948) La géométrie spontanée chez l’enfant.
Pour chaque épreuve, nous décrivons les schèmes impliqués, le mode de passation et les stades de développement décrits par Piaget dans la construction de ces schèmes. Ceci nous permettra de faire une analyse en 3 niveaux qui nous permettront de situer les différents profils de développement des enfants de 6 à 12 ans. Ces 3 niveaux sont répartis comme suit :
● niveau 1 : stade I décrit par Piaget : niveau pré-opératoire
● niveau 2 : stade II décrit par Piaget : transition (construction des schèmes opératoires)
● niveau 3 : stade III décrit par Piaget : niveau opératoire (construction achevée).

Nous distinguons 4 types d’épreuves dans notre description :
● les épreuves spatiales
● les épreuves infra-logiques de conservation
● les épreuves logico-mathématiques
● les épreuves de jugement moral : règles et justice

Les épreuves spatiales :
Les enfants de notre échantillon pratiquant une activité sportive impliquant des placements et déplacements ainsi que des notions spatiales variées, il nous semblait intéressant de vérifier comment, à partir de leur expérience, ces enfants avaient intégré les relations spatiales. Concernant la représentation de l’espace, nous avons utilisé quatre épreuves opératoires piagétiennes :
● L’épreuve de la verticale
● L’épreuve des points de vue
● L’épreuve de conservation des longueurs
● L’épreuve de conservation des surfaces

L’épreuve de la verticale (Piaget, 1947, 435-487)
L’objectif est d’obtenir des informations sur la représentation de l’enfant par rapport à la notion de verticale. Cela nous permet de déterminer ce qu’il prend en compte comme points de repères spatiaux.
Lorsqu’il dessine une montagne par deux obliques, va-t-il se décentrer par rapport à ces obliques qu’il vient de produire pour introduire un élément verticale ou la prégnance de ce qu’il perçoit c’est-à-dire l’oblique sur laquelle il doit dessiner l’élément vertical, va-t-elle l’induire en erreur ?
Parvient-il à prendre en compte l’espace global de la situation, donc chaque élément et l’ensemble qu’ils forment ?

La passation
 Sur le dessin d’une montagne effectué par l’enfant, nous demandons à ce qu’il place des arbres, des maisons : « Dessine une montagne bien pointue ! Et sur cette montagne dessine deux maisons et plante des arbres sur les pentes. »
 On demande à l’enfant si ce qu’il a fait correspond bien à ce qu’il verrait d’une montagne et on propose éventuellement une suggestion ou qu’il s’auto-corrige s’il ne parvient pas à la verticalité spontanément.

Les stades de développement de la notion de verticalité

Stade I
Jusque 4-5 ans
Le sujet ne parvient à abstraire ni la surface de l’eau à titre de surface plane, ni la notion de plan lui-même. Les arbres et les maisons sont couchés sur le flan de la montagne.
Autour de 6-7 ans
Le sujet parvient à abstraire des surfaces et des lignes de niveaux. La surface de l’eau est parallèle à la base du bocal et les arbres sont perpendiculaires aux flancs de la montagne.

Stade II
Autour de 7-8 ans
Réactions intermédiaires : Apparition des obliques, mais pas encore de références extérieures

Stade III
A partir de 8 -9 ans
Construction progressive des verticales dans toutes les positions.
Anticipation immédiate de la verticale et capacité à généraliser. L’enfant a pris conscience de ce qu’est la verticale et de son rapport avec les autres axes géométriques : il est en mesure de coordonner tous les axes de l’espace total ce qui lui permet d’assurer une argumentation quant à la verticale notamment.

L’épreuve des points de vue (Piaget, 1947, 243-285)
L’objectif de cette épreuve est de trouver la correspondance entre les différentes perspectives possibles du plan en relief des trois montagnes.
L’enfant a à recréer par image mentale l’espace présent, dont il devra ensuite se détacher, selon les diverses configurations impliquées par les positions successives de la figurine.
On cherche à savoir si l’enfant peut se représenter deux points de vue différents, simultanément : le sien par rapport à celui de la figurine, puis les coordonner. Il s’agit de déterminer des plans quant à la perspective qu’il constate par rapport aux éléments différenciés et en relief. Pourra-t-il ensuite s’en servir comme de points de repère dans l’espace en perspective et les manipuler mentalement ?

Le matériel
● Une plaque sur laquelle on aménage trois montagnes :
Vue A : sur la droite : petite montagne verte surmontée d’une petite maison/ plan inverse on voit un chemin en zigzag
Sur la gauche : montagne taille moyenne brune, croix rouge au sommet / vue B à droite p/ à la position A : descend une petite rivière
A l’arrière plan : montagne en forme de pyramide, grise, avec le sommet couvert de neige.
● 3 cartons mobiles ayant chacun le forme d’une des montagnes et portant les mêmes couleurs etc.,
● 1 figurine en bois de 2-3 cm dont la tête est une simple boule sans figure qui sera placée successivement à divers endroits.

La passation
Il est possible de proposer des positions plus compliquées pour enfants plus grands pour situer davantage les perspectives. Et avec les plus jeunes on peut mettre tout l’accent sur les déplacements de l’enfant lui-même et sur la coordination de ses propres perspectives successives.
● On pose la figurine de façon à ce que l’enfant effectue une reconstitution de la vue A en anticipant sur ce que verrait la figurine dans cette position. Peux-tu mettre ces montagnes comme si c’était une photo que le bonhomme aurait faite de là où il est ou de ce que tu verrais si tu étais à sa place ?
● Ensuite on pose la figurine en C (face à A) et on demande à l’enfant de représenter la photographie que la figurine ou lui-même pourrait faire en C.
● De même pour les positions B ou D.

On lui demande ensuite de reconstituer la photo faite en A ou dans les positions qu’il a occupées.

Les stades de développement des points de vue et de la perspective
 
Stade I
Indifférenciation complète ou partielle entre les points du sujet et des observateurs (représenté par la figurine). C’est son propre point de vue que l’enfant exprime comme si les montagnes ne pouvaient être vues que de son point de vue à lui.

Stade II
Essai de différenciation mais l’enfant retombe dans sa construction égocentrique

Stade III
Différenciation des points de vue (à partir de 8 ans).

L’épreuve de conservation des longueurs (Piaget, 1948, 115-131)
Cette épreuve aborde la construction des invariants opératoires dans le domaine d’activité infralogique spatial et plus distinctement l’opération de conservation des longueurs. On travaille sur l’acquisition de la notion d’espace métrique. Il s’agit de comprendre si l’enfant conçoit que la grandeur d’un objet déplacé reste invariante lors de son déplacement. Cela nous amène à prendre en compte le déplacement qui est « une transformation congruente des figures de l’espace » (Piaget,1948, 115). Si les objets une fois en mouvement s’allongeaient ou rétrécissaient, nous n’aurions pas la possibilité de prendre des points de repères ni de nous fier à un système de mesure stable. Lors des mouvements, l’objet laisse un espace vide et en occupe un autre qui conservent tous deux leur étendue, leurs rapports de distance. Il y a compensation réciproque.
C’est la prise de conscience de des espaces pleins et vides compensés, de la conservation des distances et des longueurs des baguettes et enfin du système de référence qui permet la structuration du champ spatial. L’enfant a construit la notion de longueur quand il a pris conscience de la compensation des vides et des pleins, de l’identité de l’objet à savoir qu’il n’a ni grandi ni rapetissé lors de son mouvement, et de l’inversion de la transformation comme nouvelle modification ramenant à l’état de départ. Nous chercherons donc à repérer ces différents principes au travers des arguments que l’enfant donnera lors de nos sollicitations. Des contre-suggestions et suggestions seront également effectuées pour mettre à l’épreuve la « solidité » du jugement de l’enfant.

Le matériel
● Deux baguettes de même longueur dont, pour chacune, la distance d’une extrémité à l’autre sera parcourue par une figurine.

La passation
On vérifie si l’enfant estime la longueur en fonction de l’intervalle compris entre les points extrêmes de l’objet à travers l’identification du matériel ou en lui demandant ce que c’est pour lui que la longueur ou comment on appelle la mesure d’une distance entre deux points.
On met côte à côte les deux baguettes de même longueur, leurs extrémités coïncidant. On fait constater le matériel à l’enfant jusqu’à parvenir à l’évaluation de l’équivalence de la longueur. Puis on propose diverses configurations des baguettes toujours en interrogeant l’enfant par rapport à leur taille étant ici l’élément invariant.
Est-ce qu’elles sont la même chose longues ou l’une des deux est-elle plus longue que l’autre ?

Les stades de développement de la notion de longueur

Stade I
Les deux droites sont bien considérées de même longueur dans la position initiale mais cette égalité n’est en aucun cas réaffirmée une fois que l’une des baguettes a été avancée. Cette dernière est jugée plus longue.

Stade II
Autour de 5 ans
L’enfant considère, pendant une partie de la période correspondant à ce niveau, que la longueur de la baguette déplacée a été modifiée lors de la transformation. Puis des transitions s’amorcent par régulation perceptive ou bien l’enfant a une intuition quant à la conservation de la longueur. Aussi il peut donner une réponse concernant l’égalité mais non fondée sur des arguments opératoires. L’intuition porte sur une décentration de l’attention et est un début de mise en relation car les enfants perçoivent alors qu’une baguette est plus longue sur la droite et l’autre sur la gauche. Puis les transitions sont progressives jusqu’à la vérification de la conservation par retour empirique ou intuitif au point de départ.
 
Stade III
Vers 7 - 8 ans
Enfin le jugement repose sur les emplacements autant que sur les objets transformés, leur point de vue est plus complet vis-à-vis de la situation globale. Il évoque l’égalité de l’intervalle laissé vide par le déplacement et celui rempli par la baguette.

L’épreuve de conservation des surfaces

Il s’agit d’évaluer la construction des invariants opératoires dans le domaine d’activité infralogique spatial et plus précisément de l’opération de conservation de la surface. Ces épreuves sont présentées par Jean Piaget dans son ouvrage La géométrie spontanée chez l’enfant publiée en 1973.
On interroge la construction du raisonnement autour de l’axiome d’Euclide énonçant que soustraites deux parties égales à deux quantités égales, il reste deux quantités égales. On cherche à savoir si l’enfant conçoit la surface comme une réalité stable susceptible d’invariance au travers des changements de forme. C’est se demander ce que le sujet comprend de la soustraction de surfaces partielles égales à des surfaces totales égales.
Il doit pour cela concevoir : qu’une fois établie l’égalité des surfaces respectives, il y a conservation de l’identité des surfaces totales puis de chacune des parties respectivement entre elles au travers des modifications apportées pour que, d’étape en étape, il puisse concevoir que le lieu de placement n’entre pas en compte dans l’occupation de l’espace ni de sa mesure, et délaisser donc les aspects figuratifs induits par sa perception.

Les stades de développement de la notion de surface

Stade I
Pas de construction de la surface, le sujet est non-conservant, il ne conçoit pas que les maisons occupent la même surface par rapport à la surface totale compte tenu du fait qu’elles ont la même taille de base.
Evaluation perceptive et défaut de soustraction ou d’addition opératoires

Jusque vers 5 ans ½ - 6 ans
A ce niveau les enfants procèdent par intuition perceptive : lorsque les deux configurations sont identiques, l’équivalence est consentie.
Lorsque les deux configurations diffèrent, cette égalité est niée ; l’équivalence n’est pas consentie quel que soit l’âge du sujet.
C’est-à-dire qu’ils sont déjà capables d’un début de composition intuitive mais non pas opératoire. Ils se centrent sur ce qu’ils perçoivent car ils ne prennent pas en compte les 3 éléments suivants ; surface totale (du pré), surface occupée (par les maisons) et surface libre (l’herbe qu’il reste à manger) et puisque l’opération sous-tendue doit être une soustraction :
ST – SO = SL
B – A = A’

Stade II Réactions intermédiaires
Autour de 6 - 7 ans
Les enfants à ce niveau oscillent entre la prise en compte de la configuration perceptive et un début d’opération. Par exemple ils calculent le nombre de maisons dans chaque surface verte mais ne pensent pas la surface que ces maisons occupent.

Stade III Composition opératoire
Vers 8 – 9 ans
Il n’y a plus d’évaluation perceptive mais une composition opératoire immédiate par réunion de toutes les surfaces enlevées (nA) et soustraction de cette somme au tout initial (B – nA = A’) d’où l’égalisation des surfaces restantes (B1 – nA1 = B2 – nA2 = A’1 = A’2). Cette égalité est en outre conçue comme nécessaire (« c’est forcé, c’est sûr » et générale (toujours la même chose).
L’enfant comprend qu’un objet conserve ses dimensions en se déplaçant et que les emplacements fixes demeurent identiques à eux-mêmes, occupés ou inoccupés.

Epreuves (infra-logiques) de conservation

Epreuve infra-logique de la conservation de la substance (Dolle et Bellano, 1989, 169)
Nous présentons à l’enfant une boule de pâte à modeler, puis nous lui demandons d’en fabriquer une parfaitement identique. Après s’être mis d’accord sur la quantité identique des deux boules, nous allons procéder à des transformations sur l’une des deux boules (l’autre boule étant le témoin). La réalisation de l’équivalence initiale permet de comprendre la façon dont l’enfant va évaluer cette équivalence : par une justification figurative ou par l’utilisation de schèmes de composition additive (ajouter pour en avoir plus ou enlever pour en avoir moins). Nous demandons à l’enfant de faire une galette avec une des deux boules, puis un boudin, puis une ficelle et pour finir de fractionner la boule en petits morceaux. Entre chaque transformation, nous demandons à l’enfant s’il pense que la quantité dans chacune des boules est identique : « Tu penses qu’il y a pareil de pâte dans la boule et la galette ? Ou bien tu penses qu’il y en a plus dans la boule ou plus dans la galette? ». Aussi, nous l’incitons à chacune de ses réponses à expliciter son point de vue de façon à mieux comprendre son jugement.

Opérations impliquées :
● « Transformation : annulable en transformation inverse (7 ans) »
● « Composition-coordination des relations (7 ans) »
● « Identité comparative (7 ans) »

Les conservations numériques :
La mise en évidence des conservations numériques repose sur la mise en correspondance terme à terme. Deux types de correspondance terme à terme peuvent être distingués ; la correspondance spontanée et la correspondance provoquée. La première se rencontre lorsque l’enfant est appelé à évaluer une quantité d’objets de même nature qu’il leur fait correspondre : par exemple un joueur posant 4 à 6 billes sur le terrain, son partenaire voudra en mettre autant, et, même sans savoir compter, il parviendra à composer une collection équivalente. La seconde ne consiste plus à mettre en correspondance des objets homogènes, mais au contraire des objets hétérogènes. Il s’agit de correspondances provoquées par les circonstances extérieures. Par exemple l’enfant peut être appelé, au cours d’un repas, à mettre un œuf par coquetier ou un verre par petite bouteille, ou une fleur par vase allongé,...et surtout, il faut faire entrer dans cette catégorie l’échange un contre un, par exemple l’échange répété d’une fleur ou d’un bonbon contre un sou.
Trois stades sont distingués dans le comportement des enfants :
● la comparaison est qualitative et globale sans correspondance terme à terme ni équivalence durable.
● la correspondance terme à terme s’effectue, mais elle est intuitive et sans équivalence durable.
● la correspondance est opératoire, qualitative ou numérique et les équivalences des ensembles obtenus sont durables.

On place ici neuf jetons alignés. On demande alors à l’enfant d’imaginer qu’il s’agit d’une équipe de footballeurs, puis il doit placer grâce à un tas de jetons que l’on met à sa disposition « pareil beaucoup de jetons pour faire une autre équipe ».
Ensuite, on écarte les jetons d’une des deux collections, et on demande « s’il y a toujours pareil beaucoup de joueurs dans les deux équipes ou plus là ou plus là ».

Les épreuves logico-mathématiques
 
Epreuve logico-mathématique du « tous » et « quelques » :
Dans cette épreuve, Piaget reprend le prédicat du logicien Hamilton selon lequel : « Tous les X sont des Y signifie tous les « X sont quelques Y », ce qui suppose une inclusion en extension de la classe des X dans celle des Y qualifiés par y ».
Dans une collection de jetons où l’on trouve des carrés bleus, des ronds bleus et des carrés rouges, on pose à l’enfant une série de questions :
« Est-ce que tous les carrés sont rouges, est-ce que tous les rouges sont carrés ? »
« Est-ce que tous les bleus sont ronds, ou bien est-ce que tous les ronds sont bleus ? », ce qui revient à dire : « Tous les X sont-ils des y ? »
On s’aperçoit ainsi que certains ont une fausse compréhension du prédicat lui-même. Au lieu de comprendre :
« Tous les ronds sont quelques bleus », ils entendent « tous les ronds sont tous les bleus ».

Opérations impliquées
Coordination de la compréhension et de l’extension (7 ans).
Inclusion : liaison unissant une sous-classe (quelques) à la classe emboîtante (tous) (7 ans).

Epreuve logico-mathématique des dichotomies :
On dispose de figures géométriques coupées dans du carton. On donne à l’enfant des ronds et des carrés, rouges et bleus, de petite et grande taille. Le sujet doit d’abord décrire le matériel. On le prie ensuite de faire une classification spontanée, puis une dichotomie selon deux familles. On demande encore un autre classement et cela jusqu’à trois classifications successives. Nous cherchons à mettre en évidence les facteurs de mobilité rétroactive et anticipatrice susceptibles d’expliquer le développement des classifications additives et multiplicatives.
Pour la classification spontanée, on demande :
« Peux-tu mettre en tas tous ceux qui vont ensemble ? »
« Mets ensemble ceux qui se ressemblent beaucoup. »
« Peux-tu séparer ceux qui sont différents ? »
Si l’enfant ne fait pas de dichotomie, on lui suggère :
« Pourrais-tu en faire seulement deux tas (familles) ? »
Puis, quand le sujet a terminé :
« Pourquoi les as-tu mis ensemble ? » ; « Comment pourrait-on appeler chaque tas ? »
Pour conduire l’enfant à effectuer des changements de critères, on questionne de la façon suivante :
« Pourrais-tu arranger encore autrement, en deux tas ? »

Epreuve de quantification d’inclusion
Cette épreuve consiste à présenter à l’enfant des fruits (ou des fleurs) constitués par exemple de 8 mandarines et 5 pommes. On demande à l’enfant ce qu’il voit devant lui. Ensuite nous séparons les mandarines d’un côté et les pommes de l’autre. Nous demandons alors à l’enfant s’il y a plus de mandarines que de pommes. Après cela nous reformons deux corbeilles à fruits en mettant à chaque fois plus de mandarines. Nous demandons à l’enfant pour les deux corbeilles si selon lui il y plus de mandarines que de fruits. Dans un troisième temps nous demandons à l’enfant lequel de nous deux aura la plus grosse corbeille si je prends toutes les mandarines et que lui prend tous les fruits.
Cette épreuve permet de vérifier si l’enfant a acquis les notions d’inclusion c’est à dire que les mandarines et les pommes font parties d’une même catégorie, les fruits. Si tous les A sont les B sans que tous les B soient des A, alors A est en plus petit nombre que les B.
Nous avons alterné les épreuves infra-logiques avec les épreuves logico-mathématiques afin de rendre l’entretien plus dynamique. Durant ces quatre épreuves, nous invitons l’enfant à expliquer ses procédures par des suggestions et des contre-suggestions. Ces sollicitations obligent l’enfant à argumenter ses propositions ce qui l’amène à identifier ses propres procédures en les explicitant. Notre intervention peut influencer l’enfant notamment dans la construction de régulations compensatrices plus élaborées. Il faudra être vigilant dans le choix de nos sollicitations afin de ne pas induire de réponses. Nos contre-suggestions s’appuieront sur le fait qu’un autre enfant de son âge pense le contraire pour l’amener à argumenter. Ainsi, à chaque jugement de l’enfant, conservant ou non, nous proposerons un point de vue inverse afin de savoir si le jugement qu’il possède est solide ou non.

Critères d’analyse
Nous avons utilisé des niveaux communs pour les épreuves de conservation (spatiales ou non) infra-logiques et les épreuves logico-mathématiques.

Niveau 1 : procédures figuratives
Le sujet ne s’appuie que sur les états, et n’est pas encore capable de lier ces états aux transformations qu’il effectue concrètement sur l’objet. Il effectue des abstractions empiriques et va rejeter toutes nos contre-suggestions en justifiant son point de vue avec des arguments figuratifs.

Niveau 2 : émergence des transformations, oscillations cognitives
On observe quelques arguments de transformation mais les processus figuratifs l’emportent dans les décisions
Le sujet est contradictoire dans ses réponses, et réagit à nos contre-suggestions.
A ce niveau, le sujet a quasiment construit la réversibilité mais utilise encore des arguments figuratifs quand celui-ci ne parvient pas à expliquer son raisonnement. Il pourra cependant justifier avec des arguments opératoires tout en étant confus.

Niveau 3 : Construction opératoire
Le sujet propose des arguments opératoires, son raisonnement est clair et ses réponses sont précises malgré les suggestions et contre-suggestions qui devraient le perturber.

Epreuve de construction de la règle
 
Le questionnement
 
1er domaine : Essence et fonction des règles
Quel rapport a l’enfant avec les règles ? Conscience ou non de la proximité de celles-ci dans sa vie ?
Emergence des règles sous forme d’interdits ?

2ème domaine : Origine et évolution des règles
Les règles sont-elles représentées par une figure d’autorité ? Caractère sacré, fixiste et directif ?
Quelle autonomie a-t-il par rapport aux figures évoquées et leur transmission ?

3ème domaine : Changement et invention des règles
Là encore, souplesse de la pensée, décentration et autonomie en question par rapport à une fixité de la pensée pour conserver une règle en lien à l’ascendance, à l’autorité.
Mise en jeu de lui-même, enfant, par rapport aux règles : égocentrisme et toute-puissance en question.
Quelle justification pour modifier ou inventer une règle ? Sous quelles conditions est-ce possible ? Le consentement mutuel, l’intérêt commun, un objectif d’équité et égalité pour chacun, la nécessité d’adaptation au réel apparaissent-ils ?

4ème domaine : Généralisation et véracité de la règle
Qu’est-ce qui fonde la règle comme vraie ? Cela le pousse à reconsidérer ses réflexions antérieures pour passer à un niveau de conception plus global : il doit se projeter en tant qu’adulte et non plus en tant qu’enfant. Cela change-t-il sa conception ? Cela le sollicite à se décentrer et à penser dans le sens de l’intérêt commun ou bien est-ce une possibilité de mettre à profit ce statut adulte en faveur de son désir de toute puissance, d’être une figure autoritaire au service de ses propres intérêts ?

Les stades de développement de la conscience de la règle

Stade I
La règle ne se manifeste au départ que sous forme de pratique exercée par l'enfant, elle est subie inconsciemment, elle est une sorte d'exemple intéressant venant de l'extérieur selon les actions motrices, la fantaisie symbolique, les habitudes devenant des rituels moteurs individuels dans l'"égocentrisme", c'est-à-dire quand l'enfant joue pour lui-même, en imitant.

Stade II
Les enfants ne donnent pas encore d'informations cohérentes et partagées vers 7-9 ans, l’égocentrisme les rattache encore à la conception d’une règle considérée comme intangible, intouchable, inaltérable, d'origine adulte, mystique, d'essence éternelle et dont la modification de celle-ci et les nouvelles propositions sont des transgressions.
Il y a comportement d'imitation. L'autorité est dominante, et l'enfant a un respect sacralisé pour la règle. Puis l'acceptation des innovations apparaît car ils ne les considèrent que comme des réminiscences et non des créations.

Stade III
Par la suite, les enfants renseignent de mieux en mieux sur les règles et notamment quand la pratique des règles est objectivée pour une "codification des règles" alors partagée par tous, autour de 10-12 ans, avec l'établissement de la coopération. La règle collective naît pour ainsi dire avec la caractéristique d'être "extérieure à l'individu" voire sacrée, pour ensuite progressivement devenir le résultat d'une autonomisation de la conscience et d'une orientation vers le consentement mutuel. Quand la règle de coopération remplace la règle de contrainte elle devient alors loi morale effective. Peu à peu l'autonomie apparaît et s'unit au véritable respect de la loi, la règle est intériorisée. La règle devient pour l'enfant "condition nécessaire de l'entente", est due au consentement mutuel à respecter obligatoirement, le résultat d'une libre décision digne de respect dans la mesure où elle est collectivement valable. Les modifications sont possibles sous la condition du respect. L'origine des règles est pensée comme une élaboration progressive et leur transmission selon les générations.

Les niveaux de développement
● Niveau 1 : Elaboré à partir des caractéristiques observables durant le 2ème stade de construction de la règle avec un repérage chronologique autour de 4 ans, avec comme critères le début de la conception de la règle comme véritablement sacrée et non modifiable puisque née de la contrainte et de l’autorité adulte. La notion de règle est confondue avec celles de devoir, d’interdits…
● Niveau 2 : il correspond au niveau intermédiaire évoqué par Piaget lors duquel l’enfant propose une idée sur la règle composée de résidus respect unilatéral et tout à la fois l’acceptation de variations et changements possibles.
● Niveau 3 : Règle rationnelle, condition d’accord mutuel et règle pour la règle, codification précise et décidée collectivement ; la coopération est effective.

La notion de justice

Déroulement
1- On présente à l’enfant différents types de sanctions et on lui demande laquelle il trouve la plus juste. De cette manière il est possible d’opposer la sanction expiatoire (qui est la vraie sanction pour ceux qui croient au primat de la justice rétributive) une sanction par réciprocité qui dérive de l’idée d’égalité.
2- On cherche à savoir si l’enfant est convaincu de la nécessité de la punition, il est possible de chercher si l’enfant considère comme juste et efficace : d’un côté sanction expiatoire, sévère et d’un autre côté, simple explication faisant appel à la réciprocité, nous demandons à l’enfant dans quel cas la récidive est la plus probable.
3- On peut ensuite discuter de la question de la responsabilité collective et communicable : c’est une question qu’il est utile de discuter à propos de la justice rétributive, les enfants considèrent ils comme juste, en général ou dans les cas où le coupable est inconnu, de punir le groupe entier auquel il appartient ?

La passation
On propose à l’enfant de nous donner son avis quant aux sanctions et à la notion de justice pour nous aider à savoir s’il faut punir ou non des enfants et comment les punir selon des situations très précises. On demande tout d’abord à l’enfant d’apporter un point de vue spontané puis on lui expose des histoires où des faits sont explicités.
Suivent le récit de l’histoire et le questionnement pour connaître le point de vue de l’enfant.
On cherche à savoir si l’enfant est capable de se décentrer pour se mettre à la place des enfants des histoires, de prendre en compte le point de vue de l’adulte qui sanctionne : par exemple l’entraîneur et enfin, s’il parvient à considérer le point de vue collectif lorsqu’un groupe est en cause et par rapport à la responsabilité collective.

Les stades de développement de la notion de justice
 
Stade I
La première période est décrite comme un stade durant lequel il y a indifférenciation des notions du juste et de l’injuste avec les notions de devoirs et de désobéissance ; la justice n’est pas différenciée de l’autorité des lois : est juste ce que l’adulte commande, dans le domaine de la justice rétributive toute sanction est admise comme parfaitement légitime, nécessaire et comme constituant même le principe de moralité. Dans les histoires où la justice rétributive est mise en conflit, la sanction expiatoire prime sur la sanction par réciprocité. C’est le stade de l’hétéronomie et de l’égocentrisme. Ainsi, durant toute cette période le respect unilatéral l’emporte sur le respect mutuel, le juste se confond avec ce qui est imposé par la loi, et la loi est tout entière hétéronome et imposée par l’adulte.

Stade II
Ce second stade, vers 7-8ans, se caractérise par un développement progressif de l’autonomie et par le primat de l’égalité sur l’autorité. Dans le domaine de la justice rétributive, la notion de sanction expiatoire n’est plus acceptée avec la même docilité que précédemment, et les seules sanctions considérées comme justes sont celles qui découlent de la réciprocité.

Stade III
Le dernier stade, vers 11-12 ans, voit s’esquisser une attitude nouvelle, qui peut être caractérisée par le sentiment de l’équité, et qui n’est qu’un développement de l’égalitarisme. Dans le domaine de la justice distributive, cela revient à ne plus concevoir la loi comme identique pour tous, les sujets n’appliquent donc plus la même sanction à tous, mais à tenir compte des circonstances personnelles de chacun. « Loin de mener au privilège, une telle attitude conduit à rendre l’égalité plus effective qu’elle n’était auparavant. ».Piaget (1932, p.253).

Les processus de régulation sociale

Niveau 1 : Hétéronomie
Indifférenciation des notions du juste et de l’injuste avec les notions de devoir et de désobéissance. Toute sanction est admise comme parfaitement légitime et comme constituant même le principe de moralité; c’est le stade de l’hétéronomie et de l’égocentrisme. Justice = obéissance.

Niveau 2 : Entrée dans l’autonomie
La notion de sanction expiatoire n’est plus acceptée avec la même docilité que précédemment et seules les sanctions qui découlent de la réciprocité sont considérées comme légitimes. Primat de l’égalité sur l’autorité. Remise en question de l’autorité de l’adulte. C’est le début de la réciprocité.

Niveau 3 : Morale autonome
Aperçu d’une nouvelle attitude qui peut se caractériser par le sentiment d’équité. Les sujets n’appliquent plus la même sanction à tous mais tiennent compte des circonstances atténuantes de chacun. C’est la décentration.


RESULTATS
RESULTATS GENERAUX
Rappelons que selon notre première hypothèse, on s’attend à ce que les enfants de notre échantillon développent majoritairement des modes de régulation figuratifs sur le plan cognitif et hétéronomes du point de vue des relations sociales.
Nous proposons une restitution qui rend compte des compensations régulatrices mises en œuvre par les enfants à partir des situations-problèmes que nous avons proposées. Nous avons noté les processus prévalents utilisés par chaque enfant lors des entretiens.
Ainsi, nous avons différencié les épreuves cognitives (espace, nombre, classes logiques, conservation) des épreuves de jugement moral (justice et règle) afin d’identifier les modes de régulation cognitifs d’une part, et les représentations des modes de régulations sociales d’autre part.
Si on prend les résultats, par tranche d’âge, on se rend compte que concernant les modes de régulation cognitive 66% des 6-8 ans sont dans une prédominance des aspects figuratifs. Ce chiffre passe à 39% concernant les 8-10 ans mais revient à 50% concernant les 10-12 ans.

 





On se rend compte que le taux de processus opératifs n’augmente plus, voire est en légère diminution mais que la taux d’oscillations cognitives reste important. Une faible proportion d’enfants (27%) a atteint un équilibre opératif entre 10 et 12 ans.
Concernant les modes de régulation sociale (règles et justice), on observe le même phénomène. 95% des enfants de 6-8 ans ont une représentation hétéronome des règles et de la justice, 58% des 8-10 ans et 69 % des 10-12 ans. Là encore, on constate un taux très faible (13%) d’enfants ayant construit une autonomie morale à 10-12 ans.






QUELQUES EXEMPLES

Domaine de la socialisation

Sentiment de justice et notion de sanction
Pour les niveaux 1, on retrouve un discours qui se veut conforme à leur représentation de ce que l’adulte attend. Leurs réponses font état du jugement moral de l’adulte qui est pour eux le représentant de la loi.
Parmi les enfants de 8 ans, l’un dit à propos des sanctions et punitions qu’ « Elles sont justes parce qu’on fait des bêtises, on est puni c’est à cause de nous qu’on est puni parce que parfois on est méchant. »
« Je pense qu’à chaque fois qu’il vient en avance, il doit à chaque fois mettre le matériel pendant une semaine. »
« Tout le monde (doit être puni) parce qu’eux il dit pas la vérité alors eux ils sont des menteurs eux ils veulent pas avouer que c’est eux. »

Conscience de la règle
Concernant le domaine de la règle, les enfants de 6-7 ans se situent, en grande partie, au niveau 1. Nous pouvons noter d’après les arguments des enfants qu’ils ne conçoivent la règle que comme une loi sacrée et absolue « non, on ne peut pas changer les règles parce qu’elles sont bien comme ça ».
Par exemple, l’un d’eux pense que le les règles au football ont été crées par un seul individu, une figure autoritaire.
« (ça a commencé) …Du président. » Le changement ne peut s’effectuer que par le président : « le président, lui il peut ».
En revanche, cette tendance se retrouve là encore dans le groupe des 10-12 ans alors que les bases de la conscience de la règle doivent être construites pour soutenir une pensée autonome.
Leurs arguments font état d’une conception de la règle figée, intangible et fidèle à une parole adulte marquant les interdits, loin d’une pensée capable de décentration, de créativité et source de leur individualité. En effet ; un enfant explique « Non, on pourrait pas parce qu’y a des mêmes règles, parce que si on les change après on pourrait pas comprendre. »
Un autre, à la question « comment les règles au football ont commencé ? », répond « Bien… Le propriétaire du football. »
Puis il pense que : « C’étaient les mêmes règles parce que les règles du foot, tu cherches pas elles restent toujours les mêmes. »
« Oui parce que les règles ils vont pas changer, ils vont rester pareilles. »
« Non on pourrait pas changer les règles de foot parce qu’elles vont rester toujours pareilles. »
Un autre dit : « Un a commencé et tout le monde l’a fait. »
Il est important de noter que pour certains il vaut mieux conserver les règles. Ainsi : Les changer ? « Pas trop, ces règles là c’est bien, on nous impose des trucs qu’on doit pas faire, on doit jouer comme on nous l’a enseigné. »
« Non, on va (pas) changer parce que c’est toujours les mêmes. »
Un autre explique qu’il pense qu’une règle est valide et juste « Parce que des fois l’entraîneur il l’applique. »

Domaine cognitif
Au niveau cognitif, les enfants de niveau 1 n’argumentent leur point de vue que de façon fragmentaire et restent dans le constat de la situation-problème. Ainsi, ils ne témoignaient pas d’un vocabulaire adéquat, n’investissaient pas le matériel spontanément, ne se donnaient pas les moyens d’élaborer une ou des solutions.
Ces enfants décrivent le réel mais n’agissent pas sur lui et ne peuvent donc pas anticiper les transformations possibles propres à la situation donnée.
Pour illustrer nos propos, nous pouvons citer quelques exemples d’arguments donnés par les enfants de 8 ans, qui sont attendus à un niveau 2 voire 3 et devraient penser déjà l’invariance en différenciant les transformations des perceptions propres aux situations.
Par exemple, l’un d’eux évoque bien une équivalence de longueur (épreuve de conservation de la longueur) de deux baguettes lorsqu’elles sont disposées de façon à favoriser la perception de cette équivalence de taille. Or cette équivalence n’est plus effective dès lors que les baguettes sont déplacées et que leurs extrémités ne correspondent plus lors du constat perceptif. La taille est alors modifiée selon les enfants qui n’ont pas encore élaboré les invariants cognitifs et une pensée opératoire, logique.
« Les bâtons ont la même longueur. » On en décale un et il explique qu’ils ne sont plus de la même longueur « parce que lui, il est plus grand ».
On distingue bien l’impact du constat visuel immédiat et la confusion pour justifier la modification de la situation : il utilise la description d’un état final pour expliquer un changement or l’état n’explique pas la transformation. Il n’a pas à sa disposition tout d’abord l’outils logique en quelque sorte qu’est l’invariant pour saisir ce qui a été modifié dans la situation, il ne peut donc pas construire de raisonnement ni donc expliquer ou verbaliser. Il n’a pas encore pris conscience de ce qui s’est déroulé devant lui au-delà de ce qui l’a trompé visuellement.
Or à 10 ans, nous retrouvons même ce type de réactions : l’un d’eux hésite (dans l’épreuve de conservation des surfaces) sur ce qu’il doit considérer dans la situation qui lui est proposée, il évoque la configuration des éléments sur les surfaces pour connaître la place restante et l’équivalence ou non des deux surfaces. Il est déstabilisé à chaque changement et ne considère pas l’équivalence des éléments disposés sur la surface et l’équivalence de la surface évaluée dès lors que le nombre d’éléments est lui-même équivalent. Aussi, la place des éléments détermine la place restante car visuellement cela donne des perceptions différentes. Lorsqu’il parvient à une conservation de la surface, une idée différente le fait changer immédiatement d’avis. De même pour la longueur, il ne parvient à trouver aucun point de repère, aucun argument logique pour comprendre les transformations qui se succèdent et est donc emporté par les modifications figuratives.
Il est important d’attirer l’attention sur ces résultats qui coïncident d’une classe d’âge à l’autre alors qu’ils devraient à 10 ans pouvoir penser ces situations et proposer des arguments solides qui leur permettraient de faire état d’un fonctionnement à dominance opérative pour dépasser les perturbations qui leur sont imposées dans ces situations. Leurs arguments devraient témoigner de la prise en compte des différents états impliqués par les transformations et la conservation de la longueur entre autres.


DISCUSSION
Les résultats montrent donc qu’une forte proportion d’enfants de notre échantillon n’a pas construit un mode de relation opératoire basé sur une logique causale alors même que la pratique d’un sport collectif est censée favoriser le développement de conduites de coopération.
Concernant la construction des règles par exemple la règle reste sacrée et intangible même à un âge avancé (entre 10 et 12 ans). Elle n’est pas un moyen d’organisation et d’homogénéisation des relations sociales avec leur environnement. Pour 69 % de ces enfants, le milieu doit être régi par la loi fixe et imposée à tous, autoritairement ; ils considèrent que la sécurité de la relation parentale ou à l’adulte référent est primordiale. Ils ne s’appuient pas sur une pensée autonome qui peut s’ouvrir au collectif et ensuite à la coopération.
En ce qui concerne la notion de justice, les enfants sont en grande partie au niveau I avec un pourcentage d’enfants qui commencent à entrer dans la phase d’oscillation. Pour eux, le sentiment de justice n’est pas encore consciemment considéré comme un élément central dans leur rapport au monde. Leur conception du juste est basée sur l’intervention adulte, la sanction expiatoire et donc la menace de la punition comme régulateurs des rapports et de la justice.
Nous avons d’autre part noté de grandes difficultés quant à la conservation de l’espace euclidien surtout en ce qui concerne la surface et la longueur.
Il apparaît donc que la pratique d’un jeu de règle ne suffit pas à l’intégration de celle-ci. Doit-on pour autant remettre en question l’utilité de la pratique sportive ? A notre sens le sport peut constituer un cadre de travail intéressant pour solliciter la prise de conscience des règles, mais sous la condition même de solliciter explicitement cette prise de conscience.
Le jeu tout d’abord et spécialement les jeux de règles sont importants dans le processus de coopération, puisqu’il permettent la rencontre, la prise en compte du point de vue de l’autre afin de construire des règles qui vont permettre la construction de la coopération. Selon Winnicott le jeu est indispensable dans la construction psychique de l’enfant, il lui permet de se détacher de l’objet primaire et de se construire en tant que sujet. Piaget lui montre que le jeu de règle va permettre à l’enfant de passer de l’égocentrisme à la coopération grâce au processus de décentration.
Potentiellement, la pratique d’un sport comme le football peut donc favoriser l’émergence de compétences sociales. Force est cependant de constater que cette pratique ne suffit pas. Il nous semble important de sensibiliser les acteurs à la nature des difficultés de ce public. Or, comme nous l’avons évoqué plus haut une majorité écrasante de ces jeunes a construit un mode de relation social basé sur la loi du plus fort et non sur l’échange et la réciprocité.
La formation des éducateurs semble centrale notamment concernant une pédagogie qui favoriserait l’émergence de relations fondées sur la réciprocité, la coopération et la compréhension des règles.
Les résultats de cette recherche nous ont conduit à imaginer et mettre en application une pédagogie interactive de résolution de problème. Il s’agit alors d’utiliser le conflit cognitif comme une perturbation à l’origine de la création par le sujet d’un nouveau répertoire de réponses. Nous avons dès lors mis en place des situations-problèmes qui ont des caractéristiques bien spécifiques ; thème, objectif, contrainte, règles… Ce sont des situations à caractère concret permettant de formuler des hypothèses concernant un obstacle bien identifié. Les joueurs ne disposent pas au départ des solutions. Cela leur demande donc de reconstruire la situation en utilisant le débat collectif (conflit socio-cognitif) et la décentration. Ils doivent écouter le point de vue des autres et le mettre en perspective avec le leur. Cela leur demande d’effectuer un retour réflexif et une prise de conscience des procédures et stratégies nouvelles potentielles. L’éducateur sportif leur demande de valider la solution la plus intéressante pour le groupe avec l’intériorisation des règles qui permettront de garantir un cadre de transformation de la situation.
Dans le temps d’une séance, il s’agit de situations d’environs 20 minutes, partagées en différents temps : un temps d’explication du thème de jeu, le temps de jeu lui-même.
Pour pouvoir mettre en place cette pédagogie interactive de résolution de problèmes, il convenait de former les éducateurs intervenant auprès des jeunes. C’est la raison pour laquelle nous avons créé unité de formation qui peut être dispensée auprès des éducateurs sportifs.
Une recherche est en cours dans laquelle nous émettons l’hypothèse qu’une pratique sportive dans un cadre spécifique permet de développer des compétences sociales chez l’enfant alors même que le niveau de développement de ces compétences dans les ZUS semble très déficitaire. En effet, ce qui manque à ces enfants ce sont des situations dans lesquelles on leur permette de prendre conscience de leurs actions et de leurs conséquences. Ainsi une pratique pédagogique favorisant les interactions entre enfants ainsi que la vérification des règles établies à plusieurs inciterait à la prise de conscience de la nécessité des règles en tant que système de régulation sociale.



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