Article

Editorial
by Luc Robène, Université Rennes 2, LAS-LARES EA 2241

Theme : International Journal on Violence and School, n°6, November 2008

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SPORT ET VIOLENCES. L’EDUCATION PAR LE SPORT ET LES DISPOSITIFS DE PREVENTION DE LA VIOLENCE
Ce numéro de The International Journal on Violence and School poursuit la réflexion amorcée dans le volume précédent autour du thème « sport et violences », en se centrant cette fois plus spécifiquement sur la place et le poids des dispositifs éducatifs et de prévention des violences dans, autour, par le sport.
Un certain nombre de questions soulevées par les textes proposés cernent cette problématique. Comment et à quelles conditions le sport (et par extension, l’activité physique et sportive) saisi dans la diversité de ses contextes culturels, sociaux, affinitaires, scolaires, associatifs devient-il « éducatif » ? Comment permet-il ou non à l’enfant de construire la règle, le sens de la justice, du respect de l’autre, de l’effort ? Comment constitue-t-il une voie privilégiée vers la socialisation des individus ? Enfin, quelle est la place réelle, voire l’efficacité des dispositifs variés qui, de l’école aux associations, des clubs aux projets de quartier, tentent d’apporter au quotidien une réponse socialement constructive, de canaliser et contrôler la violence en structurant le déroulement de l’action éducative et sportive ?
La multiplicité des terrains investis dans les études proposées ici, invite à une réponse nuancée. L’ensemble montre combien l’exercice physique et sportif constitue un territoire pédagogique complexe, autant qu’un véritable enjeu institutionnel et politique. Indéniablement, le sport représente un secteur d’intervention dont on attend beaucoup (voire beaucoup trop dans une perspective idéologique très coubertinienne)… Mais il constitue simultanément un moyen d’agir dont les cadres et les principes d’efficacité doivent être constamment repensés en fonction des contextes humains, en fonction des espaces sociaux dans lesquels s’exerce l’offre sportive. Si le sport suscite les espoirs d’un transfert des qualités supposées et/ou des « règles » de l’activité sportive vers celles qui régissent le comportement de l’individu vivant en société, il ne fait aucun doute aujourd’hui pour les chercheurs que se posent conjointement les questions des conditions de la mise en œuvre et de la réflexion sur les contenus d’enseignement et d’animation. Vient également à émerger la question des contraintes, voire de la violence et/ou des effets de pouvoir que le système participe à produire par ailleurs dans l’usage même des principes bénéfiques qu’il est supposé engager.
Le club bien sûr, mais bien d’autres lieux, à commencer par l’Ecole et le sport scolaire, le secteur associatif ou l’univers extrêmement riche des projets à caractère éducatif en direction de la jeunesse, des quartiers sensibles, etc. constituent autant de lieux de l’expérience éducative et sportive mais non la condition irrémédiable de leur succès. Ces territoires des « pédagogies sportives » pour reprendre l’expression de Coubertin, dans lesquels se construit par hypothèse du lien social invitent finalement à ré-interroger l’antienne idéologique des « valeurs du sport ». Suffit-il de vouloir le sport vertueux pour que, aussitôt, ceux qui le pratiquent, le regardent ou en vivent se transforment eux-mêmes en modèles de vertus, construisent la règle ou le sens de la justice ? Poser la question c’est déjà y répondre et le premier danger est bien sûr de considérer le sport comme porteur de valeurs intangibles ou « naturelles » ; des valeurs –parmi les plus usitées : le dépassement de soi, le respect, des règles, de l’autre, l’abnégation, le sacrifice, le don de soi, etc.- qui seraient en quelque sorte consubstantielles à la pratique. Le sport n’est qu’un temps social parmi d’autres. Il précède ou suit d’autres temps sociaux sans pour autant avoir prise sur eux. Le sport peut éduquer, il éduque probablement mais ne permet cependant pas de contrôler les corps et les âmes à tous moments. L’extension est pourtant facile. Elias et Dunning l’avaient accomplie en faisant des sports modernes un lieu privilégié pour l’apprentissage du contrôle des émotions. Le sport doit pourtant être considéré bien plus comme un construit culturel et social que comme l’arène universelle de l’exercice des qualités humaines. A ce titre, il est traversé par le « social » dont il procède et qu’il transforme à son tour. Il est d’une certaine manière le véhicule des valeurs que la société qui le produit, l’utilise y compris dans ses formes spectaculaires, éducatives ou éventuellement répressives, coercitives... promeut. L’histoire a montré du reste en quoi il demeurait utopique d’analyser les « valeurs » du sport hors des cadres historiques et sociaux qui donnent un sens à l’activité et à l’expression éducative de ses finalités sociales et/ou politiques. Que l’on songe simplement à l’instrumentalisation idéologique du sport durant la période de l’occupation en France. Que l’on songe à la reprise du projet éducatif initialement pensé par le Front Populaire pour la jeunesse et réorienté par le régime de Vichy en fonction de ses propres objectifs et projets politiques…
Mais le sport ne doit pas être considéré pour autant comme un corps mort qui dériverait passivement au gré des flux sociaux et idéologiques. Il suscite ses propres dynamiques et alimente un engouement inextinguible. Il génère ses propres formes d’enthousiasmes et d’adhésion, ses propres excès aussi, ce qui en fait un objet d’investigation privilégié : tout autant figure de la modernité culturelle, objet politique, que territoire privilégié de l’expérience pédagogique, via le développement de compétences et de maîtrises singulières.
C’est donc tout à la fois la capacité du sport à faire sens dans le projet éducatif, la construction et la pertinence des dispositifs d’éducation et de prévention à caractère sportif et celle du discours politique, voire la place de l’institution dans l’appréciation et le contrôle ou la production des violences, qui sont interrogés ici, dans des perspectives multidisciplinaires.

Ce numéro de IJVS offre en effet, comme le précédent, la particularité de croiser plusieurs regards sur un même objet à partir de champs scientifiques différents. L’histoire, la sociologie, la psychologie et les sciences de l’éducations sont tour à tour convoquées pour éclairer les relations ambiguës du sport à la gestion de la violence dans la sphère éducative et pour examiner la variété des appareils de régulation et des offres de prévention des violences « par le sport ».
Béatrice Clavel-Inzirillo, Daniel Dérivois, Delphine Bidaud et Yasmine Gianelli interrogent ainsi la place du sport dans la construction de la règle et du sens de la justice chez les enfants d’une Zone d’Urbanisation Sensible pratiquant le football. L’étude montre au-delà du simple geste et de l’application de la règle sportive, l’importance du contexte d’interaction et la place déterminante de la configuration sociale des situations de communication dans le procès de transmission des expériences vécues. Les auteurs soulignent in fine la nécessité d’élaborer une « pédagogie interactive de résolution de problèmes » favorisant les interactions entre enfants : une pratique susceptible de faire sens dans la construction de la règle non plus en tant qu’objet artificialisé mais en tant que système de régulation sociale.
Luc Robène, Dominique Bodin et Stéphane Héas, s’intéressent au rôle historique de l’école dans la production du sport et dans la construction de l’éducation physique comme outil « disciplinaire » de régulation des tensions et facteur de contrôle social. Ils montrent de quelle manière la place et le statut ambigu des exercices physiques (discipline du corps / discipline scolaire) dans le champ scolaire doivent être replacés dans une double perspective historique et sociale : celle de la construction d’un savoir et d’un pouvoir sur les corps (et les « âmes ») des écoliers ; celle des ambitions disciplinaires de l’éducation physique obnubilée par le souci de justifier son utilité au cœur de l’école et de légitimer son accession au rang de discipline scolaire.
Philippe Liotard questionne la validité des projets de prévention par le sport en interrogeant simultanément la pertinence du dispositif construit autour des jeunes et du football en région Languedoc-Roussillon, la place et l’implication du sociologue dans l’analyse, l’organisation et le déroulement de l’action, et le poids des enjeux de pouvoir et des lignes politiques en matière d’éducation par le sport.
Scott Flemming se positionne sur le front d’une analyse consacrée au sport de haut niveau (hockey) en cherchant à évaluer le poids des contraintes de la compétition sur le comportement des joueurs. L’auteur construit une analyse fine des rapports du joueur à l’éthique du jeu. Il montre notamment qu’il existe une distinction qui s’établit entre trois formes de violences tolérées à l’intérieur d’un espace éthique du jeu violent et une quatrième forme de violence jugée comme inacceptable.
Williams Nuytens propose les résultats d’une recherche centrée sur le football amateur dans le Nord de la France et sur le fonctionnement et le rôle des réseaux associatif et sportif dans la construction et la régulation des violences.

Finalement la richesse des travaux produits permet d’éclairer une part des enjeux attachés à la production du discours éducatif et préventif. Le sport apparaît au cœur de la société dans sa richesse et ses contradictions comme le vecteur de passions dont le contrôle et la maîtrise, au sens le plus éliasien du terme, posent les bases d’une éducation par l’éducation des passions. Une manière sans doute de rappeler que tout projet éducatif s’inscrit précisément dans la double perspective dialectique de ce qui attire, motive, émeut et meut l’individu et le confronte simultanément au contrôle que l’émotion vécue suscite pour être intégrée au rang des comportements sociaux attendus, conformes aux normes du groupe et/ou de la collectivité.



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> 1 - Régualtion cognitives, construction des règles et de la notion de justice chez des enfants de 6 à 12 ans vivant en Zone Urbaine Sensible
> 2 - L'éducation physique au 20ème siècle : une "discipline" scolaire structurée par la violence ?
> 3 - Violences dans le football amateur : mieux vaut prévenir que guérir
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